Tucker n’a pas encore dix-huit ans et, en 1954, sa longue marche l’a amené au Kentucky : il rentre chez lui après avoir participé à la guerre de Corée. L’expérience qu’il n’aurait pas connue sans mentir sur son âge en s’engageant l’a mûri. « C’était la guerre de Truman, pas celle de Tucker, mais il avait tué et avait failli se faire tuer, et il avait vu des hommes trembler de peur et pleurer comme des enfants. » Il possède 440 dollars et onze médailles, ainsi qu’un embryon de morale et une détermination absolue.
La bravoure manifestée au combat se réveille quand il tombe
sur un viol : l’oncle de Rhonda s’est arrangé pour se retrouver seul avec
elle, son désir accru par le jeune âge de sa nièce – elle a quinze ans. Tucker,
généreux guerrier, sauve la belle et laisse la vie sauve au criminel, il est de
la famille. Presque de la sienne puisque l’événement rapproche tant les jeunes
gens qu’ils se marient.
Dix ans plus tard, dans la deuxième partie du roman, Hattie, assistante sociale, accompagnée de son chef Marvin, se rend chez Tucker et Rhonda. Le premier est absent – il est au travail, on saura lequel plus tard. Rhonda déprime, c’est logique : seule Jo, parmi leurs quatre enfants, ne souffre d’aucun handicap. Deux petites filles prostrées et un garçon d’une dizaine d’années complètent une famille que Hattie fréquente régulièrement et qu’elle estime surtout malchanceuse. Tandis que Marvin, qui la découvre, est choqué et envisage pour les enfants un placement immédiat…
D’une part, cette existence à l’écart du monde, selon des
normes peu communes et correspondant, malgré tout, à un certain équilibre
interne. D’autre part, le représentant de l’ordre social et moral, imaginant
qu’il suffit de déplacer des enfants pour que la paysage retrouve une apparence
paisible.
Le débat est posé, mais il ne se prolongera qu’en filigrane de la trajectoire qui conduit Tucker, transporteur d’alcool illégal pour un gros bonnet de ce trafic, vers la case prison. Où il fera un séjour plus long que prévu, ce qui ennuie tout le monde : lui-même, bien entendu, son boss, qui le paie pour cela, et Rhonda, désormais sans ses enfants.
Les Nuits appalaches, de Chris Offutt, sont noires comme un roman de la même couleur. Elles sont néanmoins traversées d’une humanité qui, pour ne pas s’embarrasser de douceur (c’est un euphémisme), ne déroge à certains principes. On est à la fois horrifié et séduit.
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