Brûlant comme un premier amour, ce qu’un premier roman n’est pas à chaque fois. Ou brûlant comme un amour définitif, premier et dernier, après toi il n’y aura plus personne, et qu’y aura-t-il après le premier roman ? Poser la question, c’est savoir qu’il n’y a pas de réponse dans Requiem pour Lola rouge (au moins jusqu’au deuxième roman, depuis 2010 on est rassuré), mais reconnaître la frénésie manifestée par Pierre Ducrozet. Assez contagieuse pour laisser une trace, assez entraînante pour suivre un jeune homme amoureux jusqu’au bout du monde, dans une démarche imitatrice, puisque lui-même suit Lola partout, Lola perdue et retrouvée, depuis la nuit où il l’a rencontrée.
Mais peut-être rêvait-il et n’a-t-il plus cessé depuis. « Je ne sais plus si je rêve ou si je
suis rêvé », écrit le narrateur, P. Que fume-t-il ? Avec quoi se
pique-t-il ? C’est la littérature, peut-être, qui l’a mis dans cet état,
il faudra se souvenir de ces lignes, glissées dans la deuxième page comme une
promesse ou une menace : « Un
ami m’avait passé un livre, les Chants de Maldoror, tu verras, m’avait-il dit. J’avais vu. Ça m’avait cramé les circuits.
Les mots, des vipères – j’en finis par le déchirer, ce foutu bouquin, une nuit
d’hiver à s’en esquinter la vie – page par page, oui, jusqu’à le jeter,
ensanglanté, dans un coin de l’appartement. » Après ça, comment s’étonner
que plus rien ne soit pareil ? Que Lola se pointe ? Qu’elle agace et
soit indispensable, qu’elle traverse les murs et l’espace ?
Une musique rythmée, que l’on imagine jouée par un saxophoniste déhanché, finit d’emporter l’adhésion, à moins qu’elle soit au début de celle-ci. Tout est lié dans ce livre, le ton et des événements invraisemblables, l’invention verbale et la dérive sociale – P. est une sorte d’assistant-cambrioleur, dont une bande d’authentiques voleurs se sert pour faire ouvrir les portes, parce qu’il présente bien et peut inspirer confiance.
P. est un menteur congénital. D’où le fait, se dit-on avec l’impression d’avoir compris, qu’il a tout inventé. Sinon qu’il se ment d’abord à lui-même, depuis toujours, pour échapper au réel. Et, cette fois-ci, le réel lui échappe. Personne ne pourra le croire, forcément. Sauf le lecteur, qu’il bouscule agréablement. Voilà qui change de la routine. Traverser la rue devient une aventure, puisque peut-être Lola rouge sera sur l’autre trottoir et que, soudain, au lieu d’être à Montmartre, on sera à Lisbonne, ou au Vietnam. Et, l’instant d’après, sur la route de Bangkok. Parce que Lola a disparu entre-temps, bien sûr.
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