lundi 14 septembre 2020

Nicolas Mathieu raconte une tranche de réel

Nicolas Mathieu, 42 ans, né à Epinal, a le vent en poupe : son premier roman, Aux animaux la guerre, paru en 2014 dans la collection Actes noirs, a été adapté par Alain Tasma en six épisodes d’une série pour France 3 ; le deuxième, Leurs enfants après eux, toujours chez Actes Sud mais dans la série de littérature, lui a valu le Goncourt en 2018.

Les deux romans se déroulent dans la région d’origine de l’écrivain. La ville industriellement sinistrée de Heillange est le décor de Leurs enfants après eux. Sinistre, forcément sinistre, cette ville sur laquelle ne règnent pas Anthony et Hacine, deux personnages principaux que tout oppose. La rouille a envahi les aciéries désaffectées, les habitants sont aussi tristes que leur environnement, même si les jeunes écoutent Nirvana en 1992 et frémissent au parcours de l’équipe de France au Mondial de football en 1998. Ce sont les deux dates butoirs entre lesquelles le roman se déroule et l’ambiance ne s’est améliorée que de manière très superficielle.

D’ailleurs, tout le monde veut quitter Heillange puisqu’il n’y a pas d’avenir sur place, autre que la répétition des beuveries, du feu d’artifice du 14 juillet, de la baston, des amours pas très gaies. Certains voudraient réagir, comme le proclame Pierre Chaussoy : « le temps du deuil est fini. Ça fait dix ans maintenant qu’on pleure Metalor. À chaque fois qu’on parle d’Heillange, c’est pour évoquer la crise, la misère, la casse sociale. Ça suffit. Aujourd’hui, nous avons le droit de penser à autre chose. A l’avenir, par exemple. » Mais le président de l’association qui gère le club nautique pense surtout à sa propre carrière politique. Et se moque pas mal, au fond, de savoir si sa fille Steph, qui fascine Antony, est heureuse…

De ces dialogues de sourds, Hacine a cherché à s’enfuir. Faire fortune ailleurs, laisser tomber les entretiens qui ne débouchent jamais sur une embauche, passer du côté de l’illégalité grâce à la drogue qui se cultive bien au bled, blanchir l’argent ensuite – c’est là que ça coincera, pour un retour peu glorieux afin d’éviter de plus gros ennuis encore. Au fond, les histoires de moto volée, cramée, avec juste retour des choses au moment où l’on croyait le conflit apaisé, restent moins graves, tant pis si elles sont vécues sans enthousiasme.

Nicolas Mathieu raconte avec justesse la vie grise d’un groupe d’adolescents piégés par le lieu où ils n’ont pas choisi de naître. Son roman social qui ne se donne pas pour tel est une tranche de réel comme aucun sociologue n’oserait en écrire. Il faut être romancier pour le faire.

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