Une vue partielle sur la rentrée littéraire d'Actes Sud. Il s'agit vraisemblablement de la première vague, c'est-à-dire les romans français qui paraîtront au mois d'août. Huit titres constituent cette première vague. Les voici, présentés par les auteurs eux-mêmes dont, à défaut des couvertures de leurs livres, je vous offre les visages.
Metin Arditi, Loin des bras
L’institut Alderson est un internat pour gosses de riches situé près de Lausanne. Maîtres et élèves y sont, chacun à sa manière, dans la perte. Le livre raconte leurs vies durant les derniers mois de 1959. Les circonstances sont alors particulières.
L’institut traverse de graves difficultés financières, et la directrice annonce aux professeurs qu’elle est en passe de vendre l’établissement à un repreneur américain – lequel fera prochainement un “audit” de leurs qualités ou défauts. Qui restera ? Qui partira ?
Dans ce climat d’angoisse, les doutes, les calculs, les secrets et parfois les hontes des protagonistes de ce microcosme se révèlent.
Deux thèmes, deux obsessions gouvernent ce roman : la solitude, et le hasard qui tantôt nous plonge dans l’immense tristesse, tantôt paraît se rattraper. Il met alors sur notre chemin des êtres que nous n’aurions pas choisis, mais qui nous deviennent essentiels et nous consolent.
Pour écrire ce livre, j’ai revisité les onze années que j’ai passées en internat. Mais je ne voulais pas faire un livre sur mon enfance. Plutôt essayer, grâce à ces années de solitude extrême, de mieux comprendre, aujourd’hui, le monde qui m’entoure. Avec à l’esprit ce mot d’Aharon Appelfeld : “Une blessure écoute toujours plus finement qu’une oreille.”
Né en 1945 à Ankara, Metin Arditi vit à Genève. Ingénieur en génie atomique, il a enseigné à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne.
Chez Actes Sud, il est l’auteur de Dernière lettre à Théo (“Un endroit où aller”, 2005), La Pension Marguerite (2006 et Babel n° 823), L’Imprévisible (2006 et Babel n° 910), Victoria-Hall (Babel n° 726) et La Fille des Louganis (2007, à paraître en Babel n° 967).
Christophe Bouquerel, Ce n’est qu’un début
Ce n’est qu’un début commence et s’achève dans la nuit du 3 février 2009. Le héros va avoir son premier enfant et passe la soirée chez ses parents pour leur annoncer la nouvelle. Il les voit très peu, tellement ces anciens gauchistes exaspèrent le sous-directeur du ministère des Finances habitué des commissions européennes qu’il est devenu. La soirée, très arrosée, dégénère…
Pomerol aidant, ce quadragénaire rassis se trouve embarqué dans une quête délirante, baladé, à tous les sens du terme, du Paris de Mai 68 à celui d’aujourd’hui, du quartier européen de Bruxelles à celui de Kreuzberg à Berlin. Sans oublier quelques autres hauts
lieux qui n’existent même pas.
Le récit revisite avec une jubilation narquoise les étapes obligées du roman 68, les manifs, les bagarres, les meetings, les soirées sous acide, les lendemains qui déchantent. Il mêle dans un désordre fécond le rêve de la génération précédente et la réalité contemporaine, le délire et la satire. Mais les différentes pistes qui s’entrecroisent – politique, familiale, amoureuse – tendent toutes vers une même direction : explorer avec fantaisie, frénésie, et peut-être un peu de profondeur, l’idée de filiation.
C’est un roman sur l’énergie de 68 telle que peuvent la fantasmer ceux qui ne l’ont pas vécue et qui ont l’impression d’étouffer dans la France de 2009. Cette énergie folle qu’ont déployée nos parents pour mettre en question la politique, l’amour, la famille, la vie quotidienne, nous l’avons enviée, puis refusée, moquée, oubliée. Et nous avons eu bien raison. Mais aujourd’hui ne serait-il pas temps de s’en ré-emparer ? Pour en faire quoi ? A nous de voir. Après tout, ce n’est qu’un début…
Christophe Bouquerel est né en 1962. Après Normale Sup et une agrégation de lettres classiques, il fonde une troupe de théâtre au lieu d’écrire sa thèse. Il enseigne aujourd’hui le français et le théâtre dans un lycée de la région parisienne. Il est l’auteur d’un premier roman : La Boîte à orages (Panama, 2007).
Jean-Yves Cendrey, Honecker 21
Honecker 21 ou les vingt chapitres de la vie d’un Berlinois moyen, moyen en amour et au travail, bon consommateur, honnête malchanceux. Homme ordinaire, il souffre de maux qu’il juge extraordinaires parce qu’il les croit uniquement les siens. Ce sont en fait les maux communs de notre florissante société, entre bureaucratie folle et libéralisme ricaneur, tyrannie patronale et laxisme sentimental, course au confort, égarements financiers, et bien sûr passages répétés par ces guichets de l’humiliation que sont les comptoirs des services après-vente. La prétention de reprendre sa vie en main ne peut qu’en précipiter le chaos, aucune initiative n’étant jamais la bonne.
Matthias Honecker est un Charlot, malheureux, jaloux, malveillant à l’occasion, mais dont le pathétique au lieu d’affliger fait sourire, et même rire, parce qu’il n’est que ce qu’il est : notre lot à tous, souris de laboratoire que nous sommes, tragiquement drôles quand nous prétendons échapper au système et nous cognons à des murs.
Un chapitre est manquant, parce qu’il y a un trou dans la vie d’Honecker, que la fin du récit s’attache à combler, comme une dent creuse.
Né en septembre 1957, Jean-Yves Cendrey a publié plusieurs romans aux éditions P.O.L. (Principes du cochon, 1988, Les morts vont vite, 1991, Trou-Madame, 1997) puis aux éditions de l’Olivier (Les Petites Sœurs de sang, 1999, Une simple créature, 2001, Les Jouets vivants, 2005, Les Jouissances du remords, 2007, et La maison ne fait plus crédit, 2008).
Jean-Yves Cendrey vit actuellement à Berlin.
Céline Curiol, Exil intermédiaire
De ce roman, je pourrais dire qu’il a commencé un 4 juillet, date anniversaire de l’indépendance des États-Unis, la plus importante fête nationale américaine. Je pourrais dire qu’il a débuté ainsi: dans un appartement new-yorkais, une femme dont le mari est parti rendre visite à sa famille sur la côte ouest du pays s’éveille seule, guettée par l’ennui d’un jour férié, alors qu’à l’aéroport de JFK, une autre femme débarque pour la première fois à New York en provenance de Paris où elle a laissé, à l’hôpital, son conjoint dans le coma.
Je pourrais décrire ce roman comme une fugue à quatre voix,
voix intérieures de deux femmes aux prises avec l’usure de leur mariage, voix du souvenir et de l’instant présent qui se répondent en échos révélateurs ou troublants, cherchent tels les personnages de ce livre leur justesse et leur rythme.
Je pourrais y apposer la mention roman d’amour car c’est aussi et peut-être surtout cela que ce livre interroge : l’exaltation, la souffrance, la mélancolie, le désir de l’amour.
Je pourrais enfin ajouter que ce roman est un hommage à New York, à cette ville farfelue et pétrifiante que j’ai observée avec fascination et perplexité au cours de ces dix dernières années.
Née en 1975, Céline Curiol a publié deux romans : Voix sans issue (Actes Sud, 2005), Permission (Actes Sud, 2007) et un récit de voyage, Route rouge (Vagabonde, 2007).
Après avoir vécu dix ans à New York, elle vient de s’installer à Paris.
Cécile Ladjali, Ordalie
Ordalie est en premier lieu la petite histoire de deux amants écrivains, dont l’idylle commence juste après la Seconde Guerre mondiale. Lenz est juif, poète, rescapé. Ilse est la fille d’un ancien nazi et elle écrit des romans. Les deux amants traînent leur oeuvre en devenir et leur destin de Vienne à Paris, de Paris à Berlin, de Berlin à Rome. Il s’agit de réorganiser les décombres du monde grâce à l’art et à l’amour.
Cette simple histoire d’amour est racontée par Zak, le cousin de Ilse. Zak a toujours été amoureux de sa cousine, comme il a nourri une passion morbide pour le Reich. Zak est un salaud qui incarne toute la mauvaise conscience des bourreaux. Il pressent qu’il obtiendra son salut par le regard indulgent que voudra bien porter sur lui sa merveilleuse cousine. Car Ilse est un être positif qui croit à demain. Avec un groupe d’écrivains elle essaie d’avancer malgré tout le poids d’un passé qui la leste. Lenz n’aura jamais cette force.
Ordalie tente surtout de dire la grande Histoire, à travers le parcours de ces trois êtres meurtris, orphelins ou fils de la honte, qui trébuchent dans le noir, la bouche pleine de cette langue allemande qui les étouffe et avec laquelle ils vont tenter de créer. Car pour Ilse et Lenz, écrire revient à vivre. Zak finira par comprendre cela à son tour.
Née à Lausanne en 1971, de mère iranienne, Cécile Ladjali est agrégée de lettres modernes. Elle enseigne le français au lycée Evariste-Galois à Noisy-le-Grand ainsi qu’ à la Sorbonne nouvelle.
Ses romans sont publiés chez Actes Sud : Les Souffleurs (2004, à paraitre en Babel n° 970), La Chapelle Ajax (2005), Louis et la jeune fille (2006), Vies d’Emily Pearl (2008).
Sébastien Lapaque, Les Identités remarquables
A plus bé au carré égale a-deux plus bé-deux plus deux a-bé… Les identités remarquables, c’est une musique. Je ne sais pas à quoi ce modèle mathématique peut bien servir, mais j’aime le réciter par coeur. Comme certains passages du Panégyrique de saint Bernard de Bossuet: “Bernard, que prétends-tu dans le monde ? Y vois-tu quelque chose qui te satisfasse ?… Bernard, Bernard, cette verte jeunesse ne durera pas toujours : cette heure fatale viendra qui tranchera toutes les espérances trompeuses par une irrévocable sentence.” Ou certains vers de “Zone” pris dans Alcools d’Apollinaire : “Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule / Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent / L’angoisse de l’amour te serre le gosier / Comme si tu ne devais jamais plus être aimé.”
Il y a dans l’apostrophe à la deuxième personne du singulier une sonorité et un mystère qui me plaisent bien. Surtout pour parler d’amour et rappeler aux hommes qu’ils viennent dans le monde pour en sortir bientôt. Qui parle ? D’où parle-t-il ? Musique et devinette: c’est la mise à feu du roman.
Un homme se réveille, un joli jour de mai 2005 dans une ville française établie sur la côte atlantique, une voix dit : “Tu vas mourir, aujourd’hui, et tu ne le sais pas encore.” Du matin jusqu’au soir, une journée va s’écouler pour que le lecteur comprenne. A travers les mots et les gestes des autres personnages du roman, les choses vont s’éclairer peu à peu : un ami philosophe, une petite marchande de jouets aimée et négligée, une vierge aux passions froides, une banquière aux yeux de biche, un tueur prédestiné.
Né à Tübingen en 1971, Sébastien Lapaque est critique au Figaro littéraire. Chez Actes Sud, il a publié deux romans (Les Idées heureuses, Actes Sud, 1999, prix François Mauriac de l’Académie française, et Les Barricades mystérieuses, Babel Noir, 1998), ainsi qu’un recueil de nouvelles (Mythologie française, Actes Sud, 2002, Bourse Goncourt de la nouvelle).
Son Petit Lapaque des vins de copains (Actes Sud, 2006) fait l’objet d’une réédition mise à jour cet automne.
Minh Tran Huy, La double vie d’Anna Song
Le roman est construit autour d’un personnage qui meurt dès la première page : Anna Song, grande pianiste dont l’oeuvre est enfin reconnue après des années de négligence. Son fantôme hante ce livre entremêlant deux voix comme dans une invention de Bach.
Le premier fil narratif, constitué d’articles de journaux, retrace l’itinéraire d’Anna et dévoile bientôt un scandale dont elle est la clef de voûte. Il s’entrelace autour d’un deuxième fil : la confession d’un homme étroitement lié à Anna. Ces deux points de vue, réalités, interprétations des faits, tantôt s’opposent, tantôt s’épousent, pour révéler, comme chez Bach, une voix cachée, une troisième “vérité” à la fois créée et masquée par les deux autres.
La double vie d’Anna Song est un tombeau à la fois musical et littéraire, une ode à une femme désespérément aimée, à une enfance engloutie dans le temps et à un pays perdu, le Viêtnam, que les parents d’Anna ont été forcés de quitter.
L’histoire fait écho au mythe d’Orphée et Eurydice : le héros veut sauver, par la grâce de ses mots, celle qu’il aime du néant, quitte à s’égarer lui-même (avec cette particularité qu’ici, c’est l’artiste qu’il s’agit de ramener à la vie). Ces thèmes sont indissociables de celui de l’imposture, qui connaît (toujours à la manière de Bach) plusieurs variations : la mystification publique, la trahison intime, mais aussi le sentiment d’imposture.
La double vie d’Anna Song est une composition en contrepoint ou, si l’on préfère, en trompe-l’oeil, une fugue où la parole est tissée de silences et la vérité, de mensonges.
Née en 1979 en région parisienne, Minh Tran Huy est rédactrice en chef adjointe au Magazine littéraire et chroniqueuse littéraire.
Après La Princesse et le Pêcheur, son premier roman paru chez Actes Sud en 2007 (à paraître en Babel n° 968), elle a publié Le Lac né en une nuit, recueil de contes et légendes du Viêtnam
(Babel n° 888).
Lyonel Trouillot, Yanvalou pour Charlie
Haïti, aujourd’hui. La construction de soi sur fond d’amnésie d’un jeune et brillant avocat est contrariée par la rencontre avec un adolescent, orphelin et peu “réceptif” aux principes d’honnêteté. Commence ainsi le voyage dans la mémoire refoulée (le village natal, espace indéfini entre la ville et la campagne) ; dans la réalité immédiate des bidonvilles et des quartiers pauvres de Port-au-Prince. A ces lieux enfin découverts ou revisités s’oppose le milieu des affaires et le monde des riches dans lesquels le jeune avocat, appliqué et méthodique, installe sa vie et sa carrière.
C’est donc une traversée de la géographie interne d’Haïti. Chaque espace social et physique étant vu par le regard porté sur les personnages qui le fréquentent : les collègues, patrons et clients de l’avocat ; la bande de voyous à laquelle appartient Charlie ; Anne, l’amie d’enfance et le premier amour de l’avocat, et les habitants de son village natal. La question est de savoir si l’on peut embrasser tous ces lieux d’un seul regard.
Et vivre est difficile qui pose encore la question du choix, chaque lieu portant la négation de l’autre : agression, déni qui se traduisent jusque dans l’opposition des codes langagiers. Il y a autant de langages que de lieux, et quelle terre saluer, de toutes ces terres en une seule, pour qui et pour quoi danser et chanter le yanvalou qui est, dans la mythologie populaire haïtienne, le rite et le rythme du salut à la terre.
Romancier et poète, intellectuel engagé, acteur passionné de la scène francophone mondiale, Lyonel Trouillot est né en 1956 dans la capitale haïtienne, Port-au-Prince, où il vit toujours aujourd’hui.
Chez Actes Sud, il a publié Rue des Pas-Perdus (1998 et Babel n° 517), Thérèse en mille morceaux (2000), Les Enfants des héros (2002 et Babel n° 824), Bicentenaire (2004 et Babel n° 731) et L’Amour avant que j’oublie (2007, à paraitre en Babel n° 969).
Metin Arditi, Loin des bras
L’institut Alderson est un internat pour gosses de riches situé près de Lausanne. Maîtres et élèves y sont, chacun à sa manière, dans la perte. Le livre raconte leurs vies durant les derniers mois de 1959. Les circonstances sont alors particulières.
L’institut traverse de graves difficultés financières, et la directrice annonce aux professeurs qu’elle est en passe de vendre l’établissement à un repreneur américain – lequel fera prochainement un “audit” de leurs qualités ou défauts. Qui restera ? Qui partira ?
Dans ce climat d’angoisse, les doutes, les calculs, les secrets et parfois les hontes des protagonistes de ce microcosme se révèlent.
Deux thèmes, deux obsessions gouvernent ce roman : la solitude, et le hasard qui tantôt nous plonge dans l’immense tristesse, tantôt paraît se rattraper. Il met alors sur notre chemin des êtres que nous n’aurions pas choisis, mais qui nous deviennent essentiels et nous consolent.
Pour écrire ce livre, j’ai revisité les onze années que j’ai passées en internat. Mais je ne voulais pas faire un livre sur mon enfance. Plutôt essayer, grâce à ces années de solitude extrême, de mieux comprendre, aujourd’hui, le monde qui m’entoure. Avec à l’esprit ce mot d’Aharon Appelfeld : “Une blessure écoute toujours plus finement qu’une oreille.”
M. A.
Né en 1945 à Ankara, Metin Arditi vit à Genève. Ingénieur en génie atomique, il a enseigné à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne.
Chez Actes Sud, il est l’auteur de Dernière lettre à Théo (“Un endroit où aller”, 2005), La Pension Marguerite (2006 et Babel n° 823), L’Imprévisible (2006 et Babel n° 910), Victoria-Hall (Babel n° 726) et La Fille des Louganis (2007, à paraître en Babel n° 967).
Christophe Bouquerel, Ce n’est qu’un début
Ce n’est qu’un début commence et s’achève dans la nuit du 3 février 2009. Le héros va avoir son premier enfant et passe la soirée chez ses parents pour leur annoncer la nouvelle. Il les voit très peu, tellement ces anciens gauchistes exaspèrent le sous-directeur du ministère des Finances habitué des commissions européennes qu’il est devenu. La soirée, très arrosée, dégénère…
Pomerol aidant, ce quadragénaire rassis se trouve embarqué dans une quête délirante, baladé, à tous les sens du terme, du Paris de Mai 68 à celui d’aujourd’hui, du quartier européen de Bruxelles à celui de Kreuzberg à Berlin. Sans oublier quelques autres hauts
lieux qui n’existent même pas.
Le récit revisite avec une jubilation narquoise les étapes obligées du roman 68, les manifs, les bagarres, les meetings, les soirées sous acide, les lendemains qui déchantent. Il mêle dans un désordre fécond le rêve de la génération précédente et la réalité contemporaine, le délire et la satire. Mais les différentes pistes qui s’entrecroisent – politique, familiale, amoureuse – tendent toutes vers une même direction : explorer avec fantaisie, frénésie, et peut-être un peu de profondeur, l’idée de filiation.
C’est un roman sur l’énergie de 68 telle que peuvent la fantasmer ceux qui ne l’ont pas vécue et qui ont l’impression d’étouffer dans la France de 2009. Cette énergie folle qu’ont déployée nos parents pour mettre en question la politique, l’amour, la famille, la vie quotidienne, nous l’avons enviée, puis refusée, moquée, oubliée. Et nous avons eu bien raison. Mais aujourd’hui ne serait-il pas temps de s’en ré-emparer ? Pour en faire quoi ? A nous de voir. Après tout, ce n’est qu’un début…
C. B.
Christophe Bouquerel est né en 1962. Après Normale Sup et une agrégation de lettres classiques, il fonde une troupe de théâtre au lieu d’écrire sa thèse. Il enseigne aujourd’hui le français et le théâtre dans un lycée de la région parisienne. Il est l’auteur d’un premier roman : La Boîte à orages (Panama, 2007).
Jean-Yves Cendrey, Honecker 21
Honecker 21 ou les vingt chapitres de la vie d’un Berlinois moyen, moyen en amour et au travail, bon consommateur, honnête malchanceux. Homme ordinaire, il souffre de maux qu’il juge extraordinaires parce qu’il les croit uniquement les siens. Ce sont en fait les maux communs de notre florissante société, entre bureaucratie folle et libéralisme ricaneur, tyrannie patronale et laxisme sentimental, course au confort, égarements financiers, et bien sûr passages répétés par ces guichets de l’humiliation que sont les comptoirs des services après-vente. La prétention de reprendre sa vie en main ne peut qu’en précipiter le chaos, aucune initiative n’étant jamais la bonne.
Matthias Honecker est un Charlot, malheureux, jaloux, malveillant à l’occasion, mais dont le pathétique au lieu d’affliger fait sourire, et même rire, parce qu’il n’est que ce qu’il est : notre lot à tous, souris de laboratoire que nous sommes, tragiquement drôles quand nous prétendons échapper au système et nous cognons à des murs.
Un chapitre est manquant, parce qu’il y a un trou dans la vie d’Honecker, que la fin du récit s’attache à combler, comme une dent creuse.
J-Y. C.
Né en septembre 1957, Jean-Yves Cendrey a publié plusieurs romans aux éditions P.O.L. (Principes du cochon, 1988, Les morts vont vite, 1991, Trou-Madame, 1997) puis aux éditions de l’Olivier (Les Petites Sœurs de sang, 1999, Une simple créature, 2001, Les Jouets vivants, 2005, Les Jouissances du remords, 2007, et La maison ne fait plus crédit, 2008).
Jean-Yves Cendrey vit actuellement à Berlin.
Céline Curiol, Exil intermédiaire
De ce roman, je pourrais dire qu’il a commencé un 4 juillet, date anniversaire de l’indépendance des États-Unis, la plus importante fête nationale américaine. Je pourrais dire qu’il a débuté ainsi: dans un appartement new-yorkais, une femme dont le mari est parti rendre visite à sa famille sur la côte ouest du pays s’éveille seule, guettée par l’ennui d’un jour férié, alors qu’à l’aéroport de JFK, une autre femme débarque pour la première fois à New York en provenance de Paris où elle a laissé, à l’hôpital, son conjoint dans le coma.
Je pourrais décrire ce roman comme une fugue à quatre voix,
voix intérieures de deux femmes aux prises avec l’usure de leur mariage, voix du souvenir et de l’instant présent qui se répondent en échos révélateurs ou troublants, cherchent tels les personnages de ce livre leur justesse et leur rythme.
Je pourrais y apposer la mention roman d’amour car c’est aussi et peut-être surtout cela que ce livre interroge : l’exaltation, la souffrance, la mélancolie, le désir de l’amour.
Je pourrais enfin ajouter que ce roman est un hommage à New York, à cette ville farfelue et pétrifiante que j’ai observée avec fascination et perplexité au cours de ces dix dernières années.
C. C.
Née en 1975, Céline Curiol a publié deux romans : Voix sans issue (Actes Sud, 2005), Permission (Actes Sud, 2007) et un récit de voyage, Route rouge (Vagabonde, 2007).
Après avoir vécu dix ans à New York, elle vient de s’installer à Paris.
Cécile Ladjali, Ordalie
Ordalie est en premier lieu la petite histoire de deux amants écrivains, dont l’idylle commence juste après la Seconde Guerre mondiale. Lenz est juif, poète, rescapé. Ilse est la fille d’un ancien nazi et elle écrit des romans. Les deux amants traînent leur oeuvre en devenir et leur destin de Vienne à Paris, de Paris à Berlin, de Berlin à Rome. Il s’agit de réorganiser les décombres du monde grâce à l’art et à l’amour.
Cette simple histoire d’amour est racontée par Zak, le cousin de Ilse. Zak a toujours été amoureux de sa cousine, comme il a nourri une passion morbide pour le Reich. Zak est un salaud qui incarne toute la mauvaise conscience des bourreaux. Il pressent qu’il obtiendra son salut par le regard indulgent que voudra bien porter sur lui sa merveilleuse cousine. Car Ilse est un être positif qui croit à demain. Avec un groupe d’écrivains elle essaie d’avancer malgré tout le poids d’un passé qui la leste. Lenz n’aura jamais cette force.
Ordalie tente surtout de dire la grande Histoire, à travers le parcours de ces trois êtres meurtris, orphelins ou fils de la honte, qui trébuchent dans le noir, la bouche pleine de cette langue allemande qui les étouffe et avec laquelle ils vont tenter de créer. Car pour Ilse et Lenz, écrire revient à vivre. Zak finira par comprendre cela à son tour.
C. L.
Née à Lausanne en 1971, de mère iranienne, Cécile Ladjali est agrégée de lettres modernes. Elle enseigne le français au lycée Evariste-Galois à Noisy-le-Grand ainsi qu’ à la Sorbonne nouvelle.
Ses romans sont publiés chez Actes Sud : Les Souffleurs (2004, à paraitre en Babel n° 970), La Chapelle Ajax (2005), Louis et la jeune fille (2006), Vies d’Emily Pearl (2008).
Sébastien Lapaque, Les Identités remarquables
A plus bé au carré égale a-deux plus bé-deux plus deux a-bé… Les identités remarquables, c’est une musique. Je ne sais pas à quoi ce modèle mathématique peut bien servir, mais j’aime le réciter par coeur. Comme certains passages du Panégyrique de saint Bernard de Bossuet: “Bernard, que prétends-tu dans le monde ? Y vois-tu quelque chose qui te satisfasse ?… Bernard, Bernard, cette verte jeunesse ne durera pas toujours : cette heure fatale viendra qui tranchera toutes les espérances trompeuses par une irrévocable sentence.” Ou certains vers de “Zone” pris dans Alcools d’Apollinaire : “Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule / Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent / L’angoisse de l’amour te serre le gosier / Comme si tu ne devais jamais plus être aimé.”
Il y a dans l’apostrophe à la deuxième personne du singulier une sonorité et un mystère qui me plaisent bien. Surtout pour parler d’amour et rappeler aux hommes qu’ils viennent dans le monde pour en sortir bientôt. Qui parle ? D’où parle-t-il ? Musique et devinette: c’est la mise à feu du roman.
Un homme se réveille, un joli jour de mai 2005 dans une ville française établie sur la côte atlantique, une voix dit : “Tu vas mourir, aujourd’hui, et tu ne le sais pas encore.” Du matin jusqu’au soir, une journée va s’écouler pour que le lecteur comprenne. A travers les mots et les gestes des autres personnages du roman, les choses vont s’éclairer peu à peu : un ami philosophe, une petite marchande de jouets aimée et négligée, une vierge aux passions froides, une banquière aux yeux de biche, un tueur prédestiné.
S. L.
Né à Tübingen en 1971, Sébastien Lapaque est critique au Figaro littéraire. Chez Actes Sud, il a publié deux romans (Les Idées heureuses, Actes Sud, 1999, prix François Mauriac de l’Académie française, et Les Barricades mystérieuses, Babel Noir, 1998), ainsi qu’un recueil de nouvelles (Mythologie française, Actes Sud, 2002, Bourse Goncourt de la nouvelle).
Son Petit Lapaque des vins de copains (Actes Sud, 2006) fait l’objet d’une réédition mise à jour cet automne.
Minh Tran Huy, La double vie d’Anna Song
Le roman est construit autour d’un personnage qui meurt dès la première page : Anna Song, grande pianiste dont l’oeuvre est enfin reconnue après des années de négligence. Son fantôme hante ce livre entremêlant deux voix comme dans une invention de Bach.
Le premier fil narratif, constitué d’articles de journaux, retrace l’itinéraire d’Anna et dévoile bientôt un scandale dont elle est la clef de voûte. Il s’entrelace autour d’un deuxième fil : la confession d’un homme étroitement lié à Anna. Ces deux points de vue, réalités, interprétations des faits, tantôt s’opposent, tantôt s’épousent, pour révéler, comme chez Bach, une voix cachée, une troisième “vérité” à la fois créée et masquée par les deux autres.
La double vie d’Anna Song est un tombeau à la fois musical et littéraire, une ode à une femme désespérément aimée, à une enfance engloutie dans le temps et à un pays perdu, le Viêtnam, que les parents d’Anna ont été forcés de quitter.
L’histoire fait écho au mythe d’Orphée et Eurydice : le héros veut sauver, par la grâce de ses mots, celle qu’il aime du néant, quitte à s’égarer lui-même (avec cette particularité qu’ici, c’est l’artiste qu’il s’agit de ramener à la vie). Ces thèmes sont indissociables de celui de l’imposture, qui connaît (toujours à la manière de Bach) plusieurs variations : la mystification publique, la trahison intime, mais aussi le sentiment d’imposture.
La double vie d’Anna Song est une composition en contrepoint ou, si l’on préfère, en trompe-l’oeil, une fugue où la parole est tissée de silences et la vérité, de mensonges.
M. T. H.
Née en 1979 en région parisienne, Minh Tran Huy est rédactrice en chef adjointe au Magazine littéraire et chroniqueuse littéraire.
Après La Princesse et le Pêcheur, son premier roman paru chez Actes Sud en 2007 (à paraître en Babel n° 968), elle a publié Le Lac né en une nuit, recueil de contes et légendes du Viêtnam
(Babel n° 888).
Lyonel Trouillot, Yanvalou pour Charlie
Haïti, aujourd’hui. La construction de soi sur fond d’amnésie d’un jeune et brillant avocat est contrariée par la rencontre avec un adolescent, orphelin et peu “réceptif” aux principes d’honnêteté. Commence ainsi le voyage dans la mémoire refoulée (le village natal, espace indéfini entre la ville et la campagne) ; dans la réalité immédiate des bidonvilles et des quartiers pauvres de Port-au-Prince. A ces lieux enfin découverts ou revisités s’oppose le milieu des affaires et le monde des riches dans lesquels le jeune avocat, appliqué et méthodique, installe sa vie et sa carrière.
C’est donc une traversée de la géographie interne d’Haïti. Chaque espace social et physique étant vu par le regard porté sur les personnages qui le fréquentent : les collègues, patrons et clients de l’avocat ; la bande de voyous à laquelle appartient Charlie ; Anne, l’amie d’enfance et le premier amour de l’avocat, et les habitants de son village natal. La question est de savoir si l’on peut embrasser tous ces lieux d’un seul regard.
Et vivre est difficile qui pose encore la question du choix, chaque lieu portant la négation de l’autre : agression, déni qui se traduisent jusque dans l’opposition des codes langagiers. Il y a autant de langages que de lieux, et quelle terre saluer, de toutes ces terres en une seule, pour qui et pour quoi danser et chanter le yanvalou qui est, dans la mythologie populaire haïtienne, le rite et le rythme du salut à la terre.
L. T.
Romancier et poète, intellectuel engagé, acteur passionné de la scène francophone mondiale, Lyonel Trouillot est né en 1956 dans la capitale haïtienne, Port-au-Prince, où il vit toujours aujourd’hui.
Chez Actes Sud, il a publié Rue des Pas-Perdus (1998 et Babel n° 517), Thérèse en mille morceaux (2000), Les Enfants des héros (2002 et Babel n° 824), Bicentenaire (2004 et Babel n° 731) et L’Amour avant que j’oublie (2007, à paraitre en Babel n° 969).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire