Le sujet revient régulièrement sur le tapis et la proximité du Festival Étonnants Voyageurs, que j'ai évoqué plusieurs fois ces derniers jours, est une belle occasion. Courrier international traduit ainsi, cette semaine, un article de Jonathan Derbyshire paru à Londres dans le New Statement: Vous avez dit littérature-monde?
Il s'agit d'examiner l'importance relative des langues dans lesquelles s'écrit la littérature d'aujourd'hui - et en particulier de peser les places respectives de l'anglais et du français.
Jonathan Derbyshire rappelle à bon escient que cette littérature-monde n'est pas une invention contemporaine. Goethe parlait déjà de Weltliteratur au début du dix-neuvième siècle. "Il concevait la littérature mondiale comme une série d’échanges entre les littératures nationales qui finirait par donner naissance à une sorte d’“humanité universelle”." Ce concept n'était pas pour autant dénué d'une arrière-pensée plus sournoise. Dans l'esprit de Goethe, il allait de soi que la langue commune à cette littérature universelle devait être l'allemand.
Ou comment détourner une idée apparemment humaniste en moyen d'expansion nationaliste...
J'avoue ne pas avoir creusé les théories de Goethe sur ce thème. Mais la démonstration de Jonathan Derbyshire paraît assez convaincante pour l'accepter.
A défaut de suivre le grand écrivain allemand sur ce chemin, on peut toujours le retrouver en créateur dans ses trois interprétations du mythe de Faust, qui viennent d'être traduites dans un seul volume - il semble que ce soit la première fois.
Je reviens à l'article qui a éveillé ma curiosité ce matin. Jonathan Derbyshire s'en prend (j'ai failli écrire: évidemment) à Le Clézio. Depuis que l'auteur de Ritournelle de la faim a reçu le prix Nobel de littérature à la fin de l'année dernière, il est en effet d'autant plus exposé à la critique qu'il est devenu très visible. Son discours de réception du Nobel n'a pas séduit, c'est le moins qu'on puisse en dire, Jonathan Derbyshire: "La plus grande partie de ce discours, intitulé “Dans la forêt des paradoxes”, est, franchement, assez anodine: une suite de banalités sur les avantages de la mondialisation et de la décolonisation, au cours de laquelle Le Clézio s’interrompt un instant pour se demander si Hitler aurait pu perpétrer ses crimes si Internet avait existé au début des années 1930."
C'est, me semble-t-il, une vision assez courte de ce texte. Passons...
Jonathan Derbyshire relève aussi l'injustice que voit Le Clézio dans le fait que des écrivains pratiquant une langue peu parlée (et, forcément, peu lue) doivent s'exprimer "dans la langue des conquérants - en français ou en anglais" pour être entendus dans le monde. Et l'auteur de l'article d'ironiser sur le fait que Le Clézio considère, en disant cela, le français comme une des langues dominantes.
On l'entend presque ricaner... Pourtant, son argumentation devient à partir de là moins solide.
Il a pourtant reconnu que le prix Nobel de littérature n'était plus allé à un écrivain américain (pays dominant de la langue dominante?) depuis 1993 (Toni Morrison, dont Un don vient de paraître en français). Mais, explique-t-il, c'est seulement en raison d'un fâcheux a priori de l'Académie suédoise pour le secrétaire permanent de laquelle "l'Europe reste le centre du monde littéraire." Ce qui représente, je l'admets volontiers, un jugement à l'emporte-pièce sans base sérieuse.
Quant à cette littérature-monde, poursuit en substance Jonathan Derbyshire, voyez plutôt: après Goethe qui l'a inventée, après les Anglo-saxons, et en particulier les écrivains originaires de l'ex-Empire britannique qui l'ont imposée, elle n'est jamais, en français, qu'une pâle imitation destinée à se diluer dans la littérature de langue anglaise. (Je résume, je ne crois pas trahir.)
CQFD.
Sinon que considérer la création littéraire comme l'enjeu de rapports de force basés sur l'influence réelle ou supposée de telle ou telle langue m'a toujours semblé une absurdité. Les qualités d'un auteur n'ont aucun rapport avec la langue qu'il pratique. Sa notoriété internationale, c'est une autre histoire. Mais parlons-nous de littérature ou de géopolitique? En ce qui me concerne, mon choix est fait depuis longtemps.
Il s'agit d'examiner l'importance relative des langues dans lesquelles s'écrit la littérature d'aujourd'hui - et en particulier de peser les places respectives de l'anglais et du français.
Jonathan Derbyshire rappelle à bon escient que cette littérature-monde n'est pas une invention contemporaine. Goethe parlait déjà de Weltliteratur au début du dix-neuvième siècle. "Il concevait la littérature mondiale comme une série d’échanges entre les littératures nationales qui finirait par donner naissance à une sorte d’“humanité universelle”." Ce concept n'était pas pour autant dénué d'une arrière-pensée plus sournoise. Dans l'esprit de Goethe, il allait de soi que la langue commune à cette littérature universelle devait être l'allemand.
Ou comment détourner une idée apparemment humaniste en moyen d'expansion nationaliste...
J'avoue ne pas avoir creusé les théories de Goethe sur ce thème. Mais la démonstration de Jonathan Derbyshire paraît assez convaincante pour l'accepter.
A défaut de suivre le grand écrivain allemand sur ce chemin, on peut toujours le retrouver en créateur dans ses trois interprétations du mythe de Faust, qui viennent d'être traduites dans un seul volume - il semble que ce soit la première fois.
Je reviens à l'article qui a éveillé ma curiosité ce matin. Jonathan Derbyshire s'en prend (j'ai failli écrire: évidemment) à Le Clézio. Depuis que l'auteur de Ritournelle de la faim a reçu le prix Nobel de littérature à la fin de l'année dernière, il est en effet d'autant plus exposé à la critique qu'il est devenu très visible. Son discours de réception du Nobel n'a pas séduit, c'est le moins qu'on puisse en dire, Jonathan Derbyshire: "La plus grande partie de ce discours, intitulé “Dans la forêt des paradoxes”, est, franchement, assez anodine: une suite de banalités sur les avantages de la mondialisation et de la décolonisation, au cours de laquelle Le Clézio s’interrompt un instant pour se demander si Hitler aurait pu perpétrer ses crimes si Internet avait existé au début des années 1930."
C'est, me semble-t-il, une vision assez courte de ce texte. Passons...
Jonathan Derbyshire relève aussi l'injustice que voit Le Clézio dans le fait que des écrivains pratiquant une langue peu parlée (et, forcément, peu lue) doivent s'exprimer "dans la langue des conquérants - en français ou en anglais" pour être entendus dans le monde. Et l'auteur de l'article d'ironiser sur le fait que Le Clézio considère, en disant cela, le français comme une des langues dominantes.
On l'entend presque ricaner... Pourtant, son argumentation devient à partir de là moins solide.
Il a pourtant reconnu que le prix Nobel de littérature n'était plus allé à un écrivain américain (pays dominant de la langue dominante?) depuis 1993 (Toni Morrison, dont Un don vient de paraître en français). Mais, explique-t-il, c'est seulement en raison d'un fâcheux a priori de l'Académie suédoise pour le secrétaire permanent de laquelle "l'Europe reste le centre du monde littéraire." Ce qui représente, je l'admets volontiers, un jugement à l'emporte-pièce sans base sérieuse.
Quant à cette littérature-monde, poursuit en substance Jonathan Derbyshire, voyez plutôt: après Goethe qui l'a inventée, après les Anglo-saxons, et en particulier les écrivains originaires de l'ex-Empire britannique qui l'ont imposée, elle n'est jamais, en français, qu'une pâle imitation destinée à se diluer dans la littérature de langue anglaise. (Je résume, je ne crois pas trahir.)
CQFD.
Sinon que considérer la création littéraire comme l'enjeu de rapports de force basés sur l'influence réelle ou supposée de telle ou telle langue m'a toujours semblé une absurdité. Les qualités d'un auteur n'ont aucun rapport avec la langue qu'il pratique. Sa notoriété internationale, c'est une autre histoire. Mais parlons-nous de littérature ou de géopolitique? En ce qui me concerne, mon choix est fait depuis longtemps.
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