Je venais, tout à l'heure, de terminer l'article qui paraîtra demain dans Le Soir à propos de Bernard Clavel, dont j'ai lu beaucoup de livres et que j'ai rencontré deux ou trois fois. A cet instant le journal de LCI s'ouvrait sur une intervention de Bernard Pivot disant, en peu de mots mais avec talent, ce qu'il retenait de l'homme et de l'écrivain qui vient de mourir à 87 ans.
Pivot parlait de Clavel comme d'un écologiste avant l'heure. J'avoue que ce n'était pas la caractéristique que j'aurais mise en évidence. Il était pour moi plutôt un romancier proche des hommes et de la nature - comme Pivot le disait d'ailleurs aussi.
Néanmoins, je retrouve un article que j'avais écrit en 1993, après avoir bavardé avec l'auteur de Cargo pour l'enfer. Il donne raison à Bernard Pivot, et je vous le restitue dans son intégralité.
Bernard Clavel n'est pas du genre à retenir ses colères. Quand il se révolte, il le dit haut et fort, mais à sa manière qui est celle d'un romancier plutôt que d'un journaliste. Cela explique qu'il prenne son temps avant de traiter un sujet par lequel il se trouve frappé. Au moment du naufrage du Torrey Cañon, il était allé sur place et il avait quand même écrit des reportages. Mais, surtout, il avait été profondément marqué par ce qu'il avait découvert: "C'était la première fois que je voyais des oiseaux englués en grand nombre dans la nappe de fuel. Cela avait été pour moi quelque chose d'absolument bouleversant. J'ai pleuré à ce moment-là."
Après le chagrin, la colère est montée, nourrie de longue date par un sentiment plus général. "Cette colère m'habite depuis longtemps, devant la stupidité de l'homme, devant sa passivité face à certaines choses et son agressivité face à d'autres."
Et puis, une autre histoire, plus précise, s'est greffée sur celle de la marée noire: en 1988, pendant des semaines, un cargo syrien - le Zanoobia - avait erré de port en port, cherchant à débarquer des déchets dont personne ne voulait. Des marins avaient été intoxiqués par la cargaison qui avait posé à toute l'Europe le problème aigu du stockage et de l'élimination des produits dangereux.
Bernard Clavel a repris cette idée et a imaginé, sur le Gabbiano, un équipage aux prises avec le même genre de problèmes: d'une part, une cargaison empoisonnée, d'autre part, le refoulement du cargo par toutes les autorités locales. C'est donc une longue odyssée que nous suivons, dans un huis clos fascinant. Le seul lieu de l'action est en effet ce bateau sur lequel des hommes se débattent avec des questions qui les dépassent, et avec des ennuis de santé de plus en plus aigus. "J'ai mis du temps à écrire ce livre", raconte Bernard Clavel. "Dans les premières versions, ce n'était pas un huis clos, tout ne se passait pas sur le bateau. Mais je me suis rendu compte que ça enlevait de la force au drame."
Tel qu'il est décrit ici, il est devenu une plongée vers l'horreur, et d'autant plus terrible qu'on ne voit jamais comment l'équipage pourra s'en sortir. Ce sont les propriétaires successifs du bâtiment qui se rejettent les responsabilités comme une patate chaude. Ce sont les ports qui refusent le déchargement. Ce sont les écologistes, même, qui veulent refouler le cargo.
Cargo pour l'enfer est, sans doute, un roman dont un des effets sera une prise de conscience des dangers qui menacent la mer et, plus généralement, tout notre environnement. Mais il est surtout un récit où l'homme occupe la place principale. Ces marins porteurs du poison sont en première ligne sur le front de la pollution, et ils seront donc touchés avant tout le monde...
"Ce qui m'intéressait le plus", dit d'ailleurs Bernard Clavel, "c'était le drame humain, le drame de ces types qui se savent menacés."
Pour écrire son livre, Bernard Clavel, romancier réaliste au meilleur sens du mot, s'est abondamment documenté: il a navigué lui-même sur un cargo, il a interrogé des marins, s'est fait relire par un dermatologue et un ophtalmologue, de peur de raconter des bêtises sur les effets des produits chimiques. Cargo pour l'enfer est donc, sur tous les tableaux, un roman solide. Comme, en outre, il est passionnant, le succès (mérité) devrait une fois de plus être au rendez-vous.
Pivot parlait de Clavel comme d'un écologiste avant l'heure. J'avoue que ce n'était pas la caractéristique que j'aurais mise en évidence. Il était pour moi plutôt un romancier proche des hommes et de la nature - comme Pivot le disait d'ailleurs aussi.
Néanmoins, je retrouve un article que j'avais écrit en 1993, après avoir bavardé avec l'auteur de Cargo pour l'enfer. Il donne raison à Bernard Pivot, et je vous le restitue dans son intégralité.
Bernard Clavel n'est pas du genre à retenir ses colères. Quand il se révolte, il le dit haut et fort, mais à sa manière qui est celle d'un romancier plutôt que d'un journaliste. Cela explique qu'il prenne son temps avant de traiter un sujet par lequel il se trouve frappé. Au moment du naufrage du Torrey Cañon, il était allé sur place et il avait quand même écrit des reportages. Mais, surtout, il avait été profondément marqué par ce qu'il avait découvert: "C'était la première fois que je voyais des oiseaux englués en grand nombre dans la nappe de fuel. Cela avait été pour moi quelque chose d'absolument bouleversant. J'ai pleuré à ce moment-là."
Après le chagrin, la colère est montée, nourrie de longue date par un sentiment plus général. "Cette colère m'habite depuis longtemps, devant la stupidité de l'homme, devant sa passivité face à certaines choses et son agressivité face à d'autres."
Et puis, une autre histoire, plus précise, s'est greffée sur celle de la marée noire: en 1988, pendant des semaines, un cargo syrien - le Zanoobia - avait erré de port en port, cherchant à débarquer des déchets dont personne ne voulait. Des marins avaient été intoxiqués par la cargaison qui avait posé à toute l'Europe le problème aigu du stockage et de l'élimination des produits dangereux.
Bernard Clavel a repris cette idée et a imaginé, sur le Gabbiano, un équipage aux prises avec le même genre de problèmes: d'une part, une cargaison empoisonnée, d'autre part, le refoulement du cargo par toutes les autorités locales. C'est donc une longue odyssée que nous suivons, dans un huis clos fascinant. Le seul lieu de l'action est en effet ce bateau sur lequel des hommes se débattent avec des questions qui les dépassent, et avec des ennuis de santé de plus en plus aigus. "J'ai mis du temps à écrire ce livre", raconte Bernard Clavel. "Dans les premières versions, ce n'était pas un huis clos, tout ne se passait pas sur le bateau. Mais je me suis rendu compte que ça enlevait de la force au drame."
Tel qu'il est décrit ici, il est devenu une plongée vers l'horreur, et d'autant plus terrible qu'on ne voit jamais comment l'équipage pourra s'en sortir. Ce sont les propriétaires successifs du bâtiment qui se rejettent les responsabilités comme une patate chaude. Ce sont les ports qui refusent le déchargement. Ce sont les écologistes, même, qui veulent refouler le cargo.
Cargo pour l'enfer est, sans doute, un roman dont un des effets sera une prise de conscience des dangers qui menacent la mer et, plus généralement, tout notre environnement. Mais il est surtout un récit où l'homme occupe la place principale. Ces marins porteurs du poison sont en première ligne sur le front de la pollution, et ils seront donc touchés avant tout le monde...
"Ce qui m'intéressait le plus", dit d'ailleurs Bernard Clavel, "c'était le drame humain, le drame de ces types qui se savent menacés."
Pour écrire son livre, Bernard Clavel, romancier réaliste au meilleur sens du mot, s'est abondamment documenté: il a navigué lui-même sur un cargo, il a interrogé des marins, s'est fait relire par un dermatologue et un ophtalmologue, de peur de raconter des bêtises sur les effets des produits chimiques. Cargo pour l'enfer est donc, sur tous les tableaux, un roman solide. Comme, en outre, il est passionnant, le succès (mérité) devrait une fois de plus être au rendez-vous.
Je pense lire Malataverne en hommage à ce Monsieur que je ne connais pas assez !
RépondreSupprimerUn romancier réaliste voilà qui ne peut que me plaire !
Je découvre petit à petit l'oeuvre de BC. C'est ça mort qui m'a poussé à le lire. J'étias parti sur un malentendu avec cet auteur. Il figurait en tête de gondole à France loisirs et cela ne m'inspirait pas confiance, j'ai eu tort. Depuis j'ai découvert " L'Hercule sur la place " et ' la bourrelle" et pense bien poursuivre ma découverte.
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