Philippe Claudel a sorti son nouveau roman le mois dernier. L'enquête est une sorte de fable déshumanisée qui conduit un homme dans les marges du monde réel. Sur ce livre, j'ai écrit dans Le Soir un article complété par un entretien. Voici la suite de notre conversation.
N’avez-vous pas pensé mener vous-même une enquête?
Non, je n’ai pas ce talent-là. D’autres l’ont probablement mais, moi, coller à la réalité ne m’intéresse pas. Je ne suis pas un historien, je ne suis pas un journaliste et je n’ai pas du tout les compétences pour ça. J’essaie toujours de voir derrière les choses, ou à côté, au-dessus, en dessous, et de tirer la fable de ce qui apparaît devant moi, de révéler des architectures. L’en dehors, l’au-delà des choses, c’est ça qui m’intéresse. Et c’est ce que je sais faire, je pense. Faire un récit réaliste sur ces phénomènes à la fois ne m’intéresse pas et serait hors de mes capacités.
Dès le début, l’enquêteur est, avec majuscule, l’Enquêteur. On ne connaîtra jamais son nom. Et tous les personnages du roman n’existent que par leur fonction, avec d’ailleurs une majuscule, mais sans identité personnelle. Pourquoi ?
C’est une évolution logique par rapport à ce que j’avais écrit avant où, dans des romans comme Les âmes grises, La petite fille de Monsieur Linh, Le rapport de Brodeck, on avait des personnages qui perdaient leurs caractéristiques humaines. Les descriptions se faisaient de plus en plus rares, les fonctions prenaient le pas sur les hommes. Donc, là, c’est allé encore un petit peu plus loin. Et puis, par rapport à ce sujet, il me semblait assez important de mettre l’accent sur l’anonymisation que suppose le monde du travail où l’on n’existe en effet que par les fonctions qu’on remplit. Et dès lors qu’on ne les remplit plus ou qu’on nous les refuse, nous sommes rayés, nous sommes en dehors, remisés dans des boîtes, dans des placards…
Votre roman est à la fois très précis et très flou. Une vision analogue à celle que vous utilisez au cinéma, qui influence l’écriture? Ou le contraire?
Les deux se mêlent indépendamment de ma volonté et s’influencent au-delà de ce que je pourrais penser. Je viens de terminer le tournage de mon deuxième film et j’ai parfois, sur le plateau, des réflexes d’homme d’écrit. Je conçois parfois certaines scènes, certains plans plus d’une façon littéraire que cinématographique. Et, inversement, lorsque j’écris un livre, je vois que j’emprunte parfois aux techniques du montage, du cadrage ou de la mise au point. J’aime beaucoup la mise au point, la profondeur de champ – ou l’absence de profondeur de champ. C’est magique, l’appareil photo ou la caméra qui vous permet, avec une sorte de molette, de faire le point sur un sujet et de laisser dans le flou les autres. Ca m’intéresse beaucoup.
Une phrase revient, à peu de choses près, deux fois dans le roman. L’épigraphe, extrait de L’enfer, le film de Clouzot, «Ne cherche rien. Oublie», puis, dans les dernières pages, et reprise sur la bande qui entoure la couverture, «C’est en ne cherchant pas que tu trouveras». Y a-t-il une évolution entre les deux?
Je ne sais pas, en fait. La phrase de Clouzot est prononcée par Reggiani dans ce film qui n’a jamais été réalisé. Clouzot a passé des années de sa vie, avec des moyens considérables, à faire des essais pour ce film sur lequel un documentaire est sorti l’année dernière. Il y a une scène très belle où Reggiani est hanté par une voix off. Le film de Clouzot n’aurait rien eu à voir, il parle de jalousie. Mais l’aspect tentative avortée de ce film, je parle en termes de production, une entreprise cinématographique vouée à la folie et à l’échec, ça m’intéressait beaucoup. Et il y avait le mot «enfer» qui, par rapport à L’enquête, résonnait aussi. Dans la deuxième phrase, il y a une volonté de déboussoler, de tourner les aiguilles dans l’autre sens. Toute quête, normalement, aboutit à une recherche, tout livre aboutit à une réponse, alors que là, ce qui m’intéressait finalement, c’était de poser des questions, de mettre en place un désarroi. D’orienter les gens vers un questionnement humain qui soit métaphysique, ce qui est déboussolant.
L’important, c’est de poser les bonnes questions, davantage que de fournir les réponses?
L’important, c’est de poser des questions. Je ne sais pas si c’est de poser les bonnes. Inciter les gens à se poser des questions.
Après la fin du montage de votre deuxième film, après la parution de ce roman, savez-vous déjà si vous vous orientez ensuite vers un autre film ou un autre livre?
En réalité, j’essaie de faire les deux en même temps. Là, il y a un désir de film et un désir de livre, donc on va essayer d’agencer au mieux ces deux désirs-là pour qu’ils progressent à leur rythme.
Parallèlement?
Oui. J’aime bien entrelacer les exercices et, dans la même journée, consacrer du temps à un film puis à un livre.
N’avez-vous pas pensé mener vous-même une enquête?
Non, je n’ai pas ce talent-là. D’autres l’ont probablement mais, moi, coller à la réalité ne m’intéresse pas. Je ne suis pas un historien, je ne suis pas un journaliste et je n’ai pas du tout les compétences pour ça. J’essaie toujours de voir derrière les choses, ou à côté, au-dessus, en dessous, et de tirer la fable de ce qui apparaît devant moi, de révéler des architectures. L’en dehors, l’au-delà des choses, c’est ça qui m’intéresse. Et c’est ce que je sais faire, je pense. Faire un récit réaliste sur ces phénomènes à la fois ne m’intéresse pas et serait hors de mes capacités.
Dès le début, l’enquêteur est, avec majuscule, l’Enquêteur. On ne connaîtra jamais son nom. Et tous les personnages du roman n’existent que par leur fonction, avec d’ailleurs une majuscule, mais sans identité personnelle. Pourquoi ?
C’est une évolution logique par rapport à ce que j’avais écrit avant où, dans des romans comme Les âmes grises, La petite fille de Monsieur Linh, Le rapport de Brodeck, on avait des personnages qui perdaient leurs caractéristiques humaines. Les descriptions se faisaient de plus en plus rares, les fonctions prenaient le pas sur les hommes. Donc, là, c’est allé encore un petit peu plus loin. Et puis, par rapport à ce sujet, il me semblait assez important de mettre l’accent sur l’anonymisation que suppose le monde du travail où l’on n’existe en effet que par les fonctions qu’on remplit. Et dès lors qu’on ne les remplit plus ou qu’on nous les refuse, nous sommes rayés, nous sommes en dehors, remisés dans des boîtes, dans des placards…
Votre roman est à la fois très précis et très flou. Une vision analogue à celle que vous utilisez au cinéma, qui influence l’écriture? Ou le contraire?
Les deux se mêlent indépendamment de ma volonté et s’influencent au-delà de ce que je pourrais penser. Je viens de terminer le tournage de mon deuxième film et j’ai parfois, sur le plateau, des réflexes d’homme d’écrit. Je conçois parfois certaines scènes, certains plans plus d’une façon littéraire que cinématographique. Et, inversement, lorsque j’écris un livre, je vois que j’emprunte parfois aux techniques du montage, du cadrage ou de la mise au point. J’aime beaucoup la mise au point, la profondeur de champ – ou l’absence de profondeur de champ. C’est magique, l’appareil photo ou la caméra qui vous permet, avec une sorte de molette, de faire le point sur un sujet et de laisser dans le flou les autres. Ca m’intéresse beaucoup.
Une phrase revient, à peu de choses près, deux fois dans le roman. L’épigraphe, extrait de L’enfer, le film de Clouzot, «Ne cherche rien. Oublie», puis, dans les dernières pages, et reprise sur la bande qui entoure la couverture, «C’est en ne cherchant pas que tu trouveras». Y a-t-il une évolution entre les deux?
Je ne sais pas, en fait. La phrase de Clouzot est prononcée par Reggiani dans ce film qui n’a jamais été réalisé. Clouzot a passé des années de sa vie, avec des moyens considérables, à faire des essais pour ce film sur lequel un documentaire est sorti l’année dernière. Il y a une scène très belle où Reggiani est hanté par une voix off. Le film de Clouzot n’aurait rien eu à voir, il parle de jalousie. Mais l’aspect tentative avortée de ce film, je parle en termes de production, une entreprise cinématographique vouée à la folie et à l’échec, ça m’intéressait beaucoup. Et il y avait le mot «enfer» qui, par rapport à L’enquête, résonnait aussi. Dans la deuxième phrase, il y a une volonté de déboussoler, de tourner les aiguilles dans l’autre sens. Toute quête, normalement, aboutit à une recherche, tout livre aboutit à une réponse, alors que là, ce qui m’intéressait finalement, c’était de poser des questions, de mettre en place un désarroi. D’orienter les gens vers un questionnement humain qui soit métaphysique, ce qui est déboussolant.
L’important, c’est de poser les bonnes questions, davantage que de fournir les réponses?
L’important, c’est de poser des questions. Je ne sais pas si c’est de poser les bonnes. Inciter les gens à se poser des questions.
Après la fin du montage de votre deuxième film, après la parution de ce roman, savez-vous déjà si vous vous orientez ensuite vers un autre film ou un autre livre?
En réalité, j’essaie de faire les deux en même temps. Là, il y a un désir de film et un désir de livre, donc on va essayer d’agencer au mieux ces deux désirs-là pour qu’ils progressent à leur rythme.
Parallèlement?
Oui. J’aime bien entrelacer les exercices et, dans la même journée, consacrer du temps à un film puis à un livre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire