Premier roman de Silvia Avallone, D’acier a fait en Italie un bruit considérable, qui a gagné depuis
les territoires francophones. A juste titre. La romancière empoigne avec force
des personnages qu’elle secoue jusqu’à ce qu’ils demandent grâce, dans un décor
situé à mi-chemin entre le paradis et l’enfer.
Le paradis est visible mais inaccessible : l’île
d’Elbe, autrefois Ilva, repaire de touristes fortunés, est un rêve pour les
habitants de la côte, à dix kilomètres. Les habitants de Piombino n’ont guère
les moyens de s’offrir ce genre de villégiature. La plupart de ceux qui
travaillent vivent en enfer, dans une aciérie où règnent la chaleur et le
bruit. Ils habitent, avec les autres protagonistes du livre, les barres
d’immeubles de la via Stalingrado –
tout un programme. Avec vue sur la mer et sa misérable plage.
Sur cette plage se pavane pourtant toute la jeunesse de la
ville, et parmi elle deux jeunes filles aussi belles que délurées. Anna et
Francesca attirent tous les regards, envieux ou même jaloux chez les femmes,
admiratifs ou concupiscents, parfois les deux, chez les hommes. Elles brillent
dans la grisaille comme des princesses prêtes à régner pour longtemps. Elles
sont prêtes aux sensations fortes que leur proposent les garçons, au risque de
se brûler. Au risque aussi de déclencher la colère des pères.
La première scène, d’ailleurs, montre Enrico, le père de
Francesca, occupé à l’espionner aux jumelles, de son balcon. « Francesca trottinait avec sa copine
Anna sur le sable mouillé, elles se poursuivaient, se touchaient, s’attrapaient
par les cheveux, et lui, là-haut, figé, il transpirait, son cigare toscan à la
main. » Sur bien des plans, Enrico est un personnage ambigu, qui
semble protéger sa fille pour mieux l’emprisonner. Et qui n’hésite pas à
cogner.
La violence des hommes est une composante de l’atmosphère
qu’elle empuantit autant que les égouts déversant les déchets sur la plage. Le
monde est hostile et offre peu d’espérance. Le père d’Anna a beau tenter de
monter des coups qui le rendront riche et lui permettront de revenir les bras
pleins de cadeaux, les choses ne fonctionnent jamais comme prévu.
Quant aux femmes adultes, leur espoir s’est enfui depuis
longtemps, même si la mère d’Anna se tient droite devant l’adversité et croit
encore aux vertus de la gauche. Celle de Francesca, en revanche, a renoncé même
à faire semblant.
Les deux adolescentes traversent tout cela, et ce qui arrive
à leurs autres proches, comme si rien ne pouvait les atteindre. Minijupes et
talons hauts, seins et culs cambrés, elles jouent avec leur beauté précoce sans
rien offrir de leurs sentiments. Car elles partagent tout, elles sont destinées
à vivre ensemble, à s’accorder et à s’aimer. Bien sûr, un beau mâle viril perturbera
leur harmonie parfaite, la scène de jalousie engendrera une parodie d’amitié –
avec une fille laide, histoire de se réconforter et de faire comme si rien
n’avait d’importance.
D’acier, sous un
titre qui aurait pu être de Zola, est un roman plus nuancé que pourraient le
laisser croire ses lignes de force dessinées ci-dessus. Certaines scènes sont
des moments de pur bonheur, d’autant plus touchants qu’ils surgissent sans
prévenir au milieu d’orages. Silvia Avallone cultive le contraste avec un goût
très sûr, jusque dans les détails : Anna est aussi brune que Francesca est
blonde. Ces deux-là, si présentes, n’empêchent pas de traquer ailleurs les
coins d’ombre et les éclats de lumière.
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