Un polar de
Pierre Maury sur nos terres
Comment un vazaha découvre-t-il Madagascar ? Chacun
à sa manière, peut-on dire avec assez de flou dans la réponse pour ne pas
prendre le risque de se tromper. Ou de généraliser, autre erreur fréquente.
Voici Xavier, un de ces vazaha, personnage imaginé par un autre vazaha, puisqu’il
s’agit d’un roman policier écrit par un journaliste belge présent dans le
paysage culturel malgache depuis une quinzaine d’années.
Filière malgache, un livre de Pierre Maury paru aux Editions No Comment,
met en scène un autre journaliste. Xavier serait-il donc un double de l’auteur,
ainsi que l’idée, inévitable, traverse l’esprit ? Chaque lecteur émettra
son hypothèse après avoir refermé l’ouvrage. Nous ne nous y hasarderons pas,
après l’explication que nous a donnée le romancier.
« Je
crois que Xavier est, au fond, beaucoup plus naïf, encore plus naïf que je ne l’étais
en arrivant à Madagascar pour la première fois. Comme lui, je ne savais pas
grand-chose du pays et je ne m’intéressais qu’au sujet du reportage pour lequel
j’étais venu en 1997 : les Jeux de la Francophonie. J’étais d’ailleurs
bien loin de penser à l’exploitation humaine qui motive le voyage de Xavier.
Sport et culture, voilà ce qu’était mon quotidien pendant une quinzaine de
jours. Mais j’avais, dans les années précédentes, passé un peu de temps en
Afrique, au Rwanda et au Bénin, ce qui me donnait malgré tout des points de
repère et une envie de comparer les pays. Ce que Xavier ne possède pas
nécessairement. Et puis, surtout, contrairement à lui, qui ne fait que passer
en 2000, je suis resté… »
Envoyé par son rédacteur en chef à Madagascar, Xavier a
préparé son séjour comme un professionnel, en grand reporter consciencieux. Il
a noué des contacts depuis l’Europe et sa première journée se passe donc en
longues conversations au terme desquelles il espère dégrossir le terrain sur
lequel il se trouve – une terre inconnue. Assez naturellement, les premières
personnes rencontrées sont d’autres vazaha, qui vivent là depuis un certain
temps. Deux d’entre eux ont la bonne idée de lui dire : il faudra surtout
parler avec des Malgaches, même s’ils sont prêts à l’aider. Le troisième, en
revanche, celui qui réside à Madagascar depuis moins de temps que les autres,
prétend tout savoir du pays et de ses habitants.
« Heureusement
pour lui et son enquête », explique Pierre Maury, « Xavier comprend vite qu’il ne tirera
rien de ce dernier et choisit plutôt de suivre les conseils des deux autres.
Bien que rien ne l’ait préparé au grand écart qu’il s’apprête, sans le savoir,
à faire. »
Hasard
Dans la suite du roman, le hasard semble jouer un grand
rôle. Mais un hasard malgré tout conditionné par une envie de quitter les
sentiers battus, de s’écarter des lieux où se rassemblent les vazaha et de participer,
autant qu’il est possible de le faire en peu de temps, à la vie des Malgaches.
Non plus donc à la manière d’un touriste mais comme quelqu’un qui cherche à
s’immerger dans l’inconnu sans prétendre apporter des réponses à toutes les
questions qu’il se pose.
Et son enquête, dans tout ça ? Il y pense, il y
pense… Bien qu’en réalité, il se laisse surtout porter par les événements en se
disant qu’il lui arrivera bien quelque chose pour lui offrir quelques éléments.
Curieuse méthode, non ? L’auteur ne dit pas vraiment le contraire.
« Oui,
sans doute. Je n’ai pas voulu faire de Xavier un modèle de journaliste. D’une
part, il a des faiblesses bien humaines – bien masculines aussi, comme on le
découvrira. D’autre part, il n’a pas vraiment envie d’être là. Je l’imagine
comme un homme qui se trouvait installé confortablement derrière son bureau,
dans le calme relatif d’une rédaction où il côtoyait ses collègues. Bien
entendu, je ne raconte pas tout ce que fut sa vie avant d’arriver à Madagascar.
Je ne la connais d’ailleurs pas exactement moi-même. Une chose est certaine en
tout cas : il a été lancé d’un coup dans le grand bain – le grand
reportage – et il sait à peine nager… »
Intrigue
D’autres rencontres, plus malgaches et surtout plus féminines,
le placeront malgré lui sur la voie de ce qu’il cherchait. Mais il n’avait
jamais imaginé qu’il s’approcherait si près de dangers bien réels, et moins
encore qu’il deviendrait un acteur d’une intrigue dans laquelle sa présence se
révèle souvent inopportune. Forcément : il est maladroit et débarque avec
ses gros sabots dans une affaire sur laquelle les autorités locales, dont il
avait sous-estimé le savoir-faire (bien un comportement de vazaha, ça !),
travaillaient depuis longtemps.
L’intérêt de Filière
malgache est double.
D’abord, il s’agit d’un polar bien ficelé, avec les
ingrédients habituels du genre mais transposés dans un pays que peu d’écrivains
ont choisi pour cadre dans ce domaine. Le roman noir amène, comme il se doit,
une certaine brutalité dans les événements, une certaine crudité aussi. Pierre
Maury a dû en lire pas mal et démonter les mécanismes à l’œuvre dans cette
littérature, car il utilise au mieux les ressources du suspens et de l’opacité
de certains personnages qui ne sont pas toujours ce qu’ils disent être.
Ensuite, Madagascar y est présenté sous un jour
inhabituel. On devine que l’auteur, en plaçant son héros sur des pistes peu
fréquentées, a cherché un éclairage très éloigné de celui des cartes postales.
Son pays malgache, ou du moins la partie qu’en découvre Xavier, est rude,
violent. Quelques protagonistes sans foi ni loi y sèment la terreur. Pourtant,
malgré cette atmosphère tendue et sombre, une vraie tendresse se glisse entre
les lignes, envers le pays autant qu’envers ses habitants. Et cela peut être mis
au crédit du personnage principal.
Ajoutons, pour finir, le plaisir que procure une écriture
vive à travers laquelle le lecteur a l’impression de vivre les rebondissements
sur les lieux mêmes où ils se déroulent. Après tout, c’était le moins qu’on
pouvait attendre de Pierre Maury dont le métier est d’écrire. Comme
journaliste, certes, plutôt que comme romancier. Mais sa première incursion sur
le terrain du polar est une belle réussite.
Eric Ranjalahy
Pierre Maury. Filière
malgache. Editions No Comment, 232 pages, 30.000 Ariary ou 13 €.
Oui, un peu d'auto-promotion...
Il n'y a pas de mal à se faire du bien.
RépondreSupprimerEt en plus on le trouve dans la librairie de ma ville.
Quelle ville, si ce n'est pas indiscret?
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