Sale temps pour la littérature. Après Alvaro Mutis, dont on apprenait la disparition ce matin, c'est maintenant le poète portugais António Ramos Rosa qu'il convient de saluer, malheureusement, pour les mêmes raisons: il est décédé aujourd'hui à Lisbonne, à l'âge de 88 ans.
Le but de ce blog n'est pas d'aligner des nécrologies. Et je ne suis pas responsable de coïncidences comme celle-ci, qui associe dans la même journée deux grands écrivains - par leur disparition.
Et, après tout, il n'est pas trop tard pour lire un peu de poésie, n'est-ce pas? D'autant que, pour en savoir un peu plus sur António Ramos Rosa, j'ai sous les yeux un article que je lui ai consacré en 1990, quand, à Liège, le Grand Prix des Biennales de Poésie lui a été attribué. Le voici. Depuis, plusieurs livres avaient été traduits en français.
Un an avant Europalia Portugal, le pays de Pessoa a été mis à l'honneur à l'occasion de la dernière journée de la biennale dont le grand prix est allé à António amos Rosa, un poète que Claude Roy, après l'avoir rencontré en 1968 à Lisbonne, décrivait comme un «Don Quichotte fatigué». Un homme qui n'est pas à sa place dans le monde de son temps et dont la voix ne s'élève cependant pas dans la solitude, puisqu'il est considéré, au même titre que Torga, comme un des plus grands poètes portugais d'aujourd'hui.
Il n'était guère de meilleur choix que celui-là pour conclure des journées où il avait été beaucoup question de sacré et d'absolu, puisque António Ramos Rosa écrit notamment, dans Le Dieu nu(l): «C'est à lui, au dieu muet et insignifiant, que j'appartiens. (...) Un mur blanc se dresse entre moi et lui. Et cependant, comment pourrais-je écrire sans lui? Même absent, il est la possibilité de la parole, l'imminence de la rencontre.»
Robert Bréchon, dans un numéro récent du Courrier du Centre international d'études poétiques, attirait même très précisément l'attention sur ce qui pouvait inscrire António Ramos Rosa au cœur même de la réflexion menée à Liège ces derniers jours: «Ramos Rosa est un poète païen, qui chante la terre mère, où tout commence et tout finit. Il veut l'étreindre dans son immanence, dans sa luxuriante nudité. Il chante la plénitude d'être, et il y a dans certains de ses poèmes une sorte de Sacre du printemps ibérique, une liturgie de la vie animale et végétale, corporelle et sensorielle. Mais il est aussi un poète mystique qui, en célébrant la création, veut retrouver l'incréé, en-deçà de l'espace et du temps réels.»
Lauréat, en 1988, du prix Pessoa pour A Livro da Ignorância (Le Livre de l'ignorance, inédit en français comme la plus grande partie de son oeuvre encore bien peu traduite), António Ramos Rosa s'inscrit dans une tradition lusitaniennne dont on peut espérer qu'elle nous sera de plus en plus accessible. «Dans l'intuition lusitanienne,» écrit Pascal Fleury, «l'écriture respire où la mer commence. C'est dans le regard de l'autre qu'on attend la marée haute des mots fugitifs qui nous cachent et nous ressemblent. Ici, l'âme est une cible mouvante évoluant entre le goût d'une apocalypse douce et la respiration qui propose un règne et dessine un espace pluriel.»
Né en 1925, Ramos Rosa publie depuis 1958 et n'a, en réalité, jamais été capable de faire autre chose: aucun métier n'a pu le retenir, sinon celui qu'il exerce à la perfection, la poésie - mais qui ne nourrit évidemment pas son homme - accompagnée d'abondantes lectures qui l'ont amené à faire de nombreuses découvertes, dont Fernand Verhesen, le secrétaire du jury du Grand Prix des Biennales, a profité comme beaucoup d'autres parmi ses amis et correspondants. «Si l'on réussit un jour à recueillir et à publier sa correspondance, elle sera aussi monumentale et aussi riche que celle des plus grands épistoliers, Voltaire, Diderot, Flaubert ou Gide, pour ne parler que des Français», confie Robert Bréchon.
C'est sur ce grand écrivain, célèbre parmi ses confrères mais inconnu du public, que le Grand Prix des Biennales vient de donner un coup de projecteur. Si les lecteurs y sont attentifs, cela n'aura pas été inutile.
On lira, sur le site Carnets de Poésie de Guess Who, quelques extraits de poèmes, à compléter par la belle page que consacre Michel Camus à un écrivain qu'il avait rencontré.
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