Une petite ville anglaise
tranquille, banlieue résidentielle bourgeoise pour des familles qui ont quitté
Londres, sa frénésie, ses risques permanents. A Arlington Park, les dangers
restent à l’extérieur, dans des quartiers qu’on ne fréquente pas. On ne les
traverse, avec un petit frisson, que pour se rendre au centre commercial, un
peu plus loin. Les femmes y vont, en bande, s’offrir quelques heures de
distraction. Le reste du temps, on est à la maison, ou au travail (surtout les
hommes), ou entre soi, dans des invitations qui rassemblent souvent les mêmes.
Quatre visages émergent du
roman. Quatre femmes qui ne sont pas encore vieilles mais qui ont perdu l’élan
de la jeunesse. Et le regrettent avec une amertume agissant comme un poison
lent, ou un acide qui rongerait leurs bases. Le mariage et les enfants ont
contribué à les enfermer. Voire même, comme le pense l’une d’elles, à les
assassiner.
Juliet Randall a la chance
d’enseigner et d’animer un club littéraire dans lequel elle entend ce que
pensent les jeunes filles de la vie à venir. Ce n’est pas toujours
réconfortant : « Le mariage est
l’autre nom de la haine »,
lâche Sara, une des participantes.
Maisie Carrington a parfois
envie de tuer ses enfants. Elle entend les gens promener leurs chiens et les
appeler Maisie, ce qui en dit long sur son état d’esprit. Pour elle, « leurs vies avaient pris une tournure
d’échec enracinée ici ».
Amanda Clapp, sous le regard
des autres, trouve les pièces de sa maison inutilement grandes. Et elle a
découvert que « son perfectionnisme
était une compulsion. »
Solly Keir-Leigh a gardé son
nom de jeune fille, lié par un trait d’union à celui de son mari. Mais le trait
d’union s’est relâché et elle se sent étrangère à celui qu’elle a pourtant
choisi. Son quatrième accouchement sera pour elle l’occasion de mettre le monde
à distance.
Rachel Cusk exploite le
registre de la désillusion. Sous laquelle perce la colère : la guerre des
sexes est de retour, pour autant qu’elle ait connu une trêve. Inscrite dans le
quotidien le plus banal, elle lui donne un relief surprenant. Guerre de
tranchées ou de mouvement, elle force les personnages à une attention extrême.
Tout ce qui arrive à ces femmes prend un sens qui participe du grand chaos
social, parfois organisé en lignes de front visibles.
Si l’une ou l’autre
lamentation traverse le roman, le ton est plutôt celui de la revendication –
certes tardive, tant on a l’impression que le mal est fait. Gravé dans les
histoires individuelles comme un sillon duquel il sera difficile, voire
impossible, de s’extraire.
Pourquoi donc Arlington Park (rebaptisé La vie domestique dans cette édition pour cause d'adaptation au cinéma), malgré sa vision
négative de la vie, séduit-il tant ? Par la manière de mettre cette vision
en scène, d’abord. Dans une écriture qui pétille et une proximité avec les
épouses qui permet de les comprendre, d’adhérer complètement à leurs
réflexions, Rachel Cusk ne nous laisse pas le choix : il faut suivre, dans
la géographie de la ville, les lignes de force qu’elle impose. Traverser la rue
pour boire un café chez la voisine. Ajouter quelques légumes à la salade pour
lui donner un air moins fatigué. Se faire couper les cheveux dans l’espoir d’un
nouveau départ. Nous sommes plongés dans le concret et nous touchons du doigt
ces petites choses qui rendent l’ensemble bien réel.
Rachel Cusk, née au Canada en 1967, a passé son enfance à Los Angeles avant de faire ses études en Angleterre où elle vit toujours. Arlington Park est son quatrième roman depuis 1993, et le premier traduit en français. Son curriculum vitae était pourtant assez flatteur pour qu’on la remarque plus tôt. Elle a reçu le prix Whitbread du premier roman et a été sélectionnée, en 2003, par la revue Granta parmi les vingt meilleurs jeunes romanciers britanniques. Elle y a sa place, nous pouvons maintenant le vérifier.
Rachel Cusk, née au Canada en 1967, a passé son enfance à Los Angeles avant de faire ses études en Angleterre où elle vit toujours. Arlington Park est son quatrième roman depuis 1993, et le premier traduit en français. Son curriculum vitae était pourtant assez flatteur pour qu’on la remarque plus tôt. Elle a reçu le prix Whitbread du premier roman et a été sélectionnée, en 2003, par la revue Granta parmi les vingt meilleurs jeunes romanciers britanniques. Elle y a sa place, nous pouvons maintenant le vérifier.
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