François Bon remonte le temps avec
son Autobiographie des objets. Sans nostalgie mais avec
mélancolie, dans un équilibre subtil entre une langue tenue et un certain
relâchement. La bonne manière pour retrouver le sens qu’avaient, il n’y a pas
si longtemps, des choses que nous n’utilisons plus mais dont nous conservons le
souvenir.
Le temps des objets est
derrière nous, à présent qu’ils se remplacent de plus en plus vite sans qu’on
se demande ce que deviennent les choses abandonnées, remplacées, obsolètes.
Tandis qu’ils nous accompagnaient autrefois bien plus longtemps, au-delà même
de leur usage, restant dans un coin, dans un carton, sur une étagère… François
Bon parle de ce temps-là, situé dans son évolution personnelle avant celui de
l’écriture. D’une mémoire des formes, des couleurs et des textures liée à des
souvenirs précis – ou flous, c’est selon – et sans à aucun moment se dire que
c’était mieux avant. « On n’a pas de
nostalgie – l’idée d’une mélancolie est
plus riche, plus subversive même, à la fois quant au présent et au passé. »
Autobiographie des objets déborde largement des limites de son titre, et au
moins autant de la mémoire de son auteur. Toute une génération, née dans les
années cinquante, et peut-être au-delà, s’y reconnaîtra. Peut-être davantage
les garçons que les filles, comme le faisait remarquer une lectrice de
l’ouvrage, car en effet les centres d’intérêt étaient plus dissociés alors
qu’aujourd’hui. Et, si l’écrivain refuse le mot de nostalgie, il n’est pas
interdit au lecteur d’en éprouver un peu…
Les objets ne doivent pas
tous avoir servi à quelque chose. Une tige et une rondelle d’acier forgé, sur
le bureau, sont surtout le résultat concret d’un savoir-faire, celui du
grand-père qui les avait rangées dans un tiroir. Il en émane l’idée d’une
perfection dans le travail et le souvenir de celui qui l’a accompli : « Sur ma table, c’est sa présence,
mieux qu’une photo ou quoi que ce soit d’autre. En dix heures, il a fallu
percer la rondelle, puis creuser les cinq pans au bon angle, et soigner la
perpendiculaire au plan. Puis araser sur la tige les mêmes six pans, la lime
travaillant alors de l’extérieur et non plus de l’intérieur, puis commencer la
longue approche de l’ajustement. »
Plus de soixante
chapitres explorent ainsi un passé qui souvent rejoint le présent par effet de
rémanence : « J’appartiens à un
monde disparu – et je vis et me conduis au-delà de cette appartenance. C’est
probablement le cas pour tout un chacun. La question, c’est l’importance et la
rémanence matérielle d’un tel objet, parfaitement incongru, parfaitement
inutile, dans le parcours personnel. » C’est construit sans
organisation apparente, sinon qu’une idée en entraîne parfois une autre. Sinon
aussi que François Bon sait très précisément jusqu’où il veut aller. Il l’écrit
plusieurs fois : « l’armoire
aux livres, dont je sais depuis longtemps qu’elle sera l’aboutissement de ce
texte. » Parce qu’il s’agit, au fond, de retracer par fragments, avec
le support des objets, le chemin vers l’écriture. Celle-ci est devenue le moyen
et le moteur de la connaissance du monde, des autres… Et c’est par l’écriture,
dans un équilibre subtil entre une langue tenue et un certain relâchement, que
s’établit le pont sur lequel François Bon invite à avancer pour nous approcher
de lui et surtout de sa démarche.
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