jeudi 19 septembre 2013

Jonathan Dee, le vertige d'un discours creux

Après Les privilèges, Jonathan Dee poursuit sa déconstruction du rêve américain. L’ambition est grande et les moyens qu’il met au service de celle-ci, considérables. Il explore, sur le même plan, la vie privée et les fonctionnements professionnels, dénonçant au passage les leurres auxquels ses personnages se laissent prendre.
Pour l’essentiel, ils sont deux dans La fabrique des illusions. John Wheelwright et Molly Howe tombent amoureux. Il est étudiant en art, elle fait semblant de l’être et s’efforce surtout d’oublier le premier épisode tragique de sa jeune existence, quand sa liaison avec un homme marié a été rendue publique dans une petite ville où elle-même et sa famille sont aussitôt devenues la cible de regards accusateurs. Molly possède les qualités de son silence, derrière lequel se devine une exceptionnelle profondeur. Mais elle est aussi fuyante, et disparaît d’ailleurs après un bref séjour chez ses parents, alors que son père est à l’hôpital suite à une tentative de suicide. John ignore qu’elle était enceinte et a avorté, par peur d’être incapable d’assumer leur amour. Fin de l’histoire, pendant dix ans.
Avant d’y revenir grâce à un de ces hasards que seul un romancier pouvait imaginer, Jonathan Dee a tout loisir de se consacrer à la carrière de John. Projets artistiques revus à la baisse, il est devenu créateur publicitaire. Plutôt doué, d’ailleurs, pour vendre n’importe quel produit en lui accolant un slogan percutant, une image de rêve. Ces années dans la publicité donnent au romancier l’occasion d’écrire ses pages les plus percutantes. D’autant plus efficaces qu’elles reposent sur du vide, et que cela ne va pas s’arranger. Car John, remarqué par Mal Osbourne, un des patrons de l’agence où il travaille, quitte sa boîte pour s’engager dans un projet novateur. Il ne s’agit plus de promouvoir des marques mais d’associer celles-ci à des travaux artistiques audacieux, destinés à marquer les esprits grâce à un financement de mécènes – néanmoins convaincus des retombées positives.
La démarche s’apparente à celle d’Oliviero Toscani dans ses campagnes pour Benetton, en plus radical encore. Les créateurs ne doivent pas savoir pour qui ils travaillent, pour rester totalement libres de suivre leur inspiration. Jusqu’à la catastrophe si nécessaire – et celle-ci ne manquera pas de se produire.
Mais, à ce moment, on a aussi renoué le fil de l’histoire entre John et Molly, d’une manière qu’il ne faut évidemment pas révéler ici et qui a son importance dans le fil du récit. Celui-ci a toutes les vertus d’un feuilleton dont on ne veut manquer aucun épisode, puisque chacun de ceux-ci est une brique indispensable dans la construction du roman. Et donc aussi dans sa compréhension. L’ambition et l’échec en sont des ressorts importants, contrariés parfois par les complexités de la vie personnelle où l’amour, toujours, intervient aux moments les plus inadéquats.

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