Jusqu’où un homme est-il capable de mentir sur sa vie et
comment un écrivain, s’emparant de la vérité et du mensonge, peut-il concevoir
un livre qui ne soit pas un roman tout en reposant, pour l’essentiel, sur une
fiction construite par le personnage lui-même ? Javier Cercas commence par
cet avertissement : « Je ne
voulais pas écrire ce livre. » Puisqu’il est là malgré tout, il a
fallu que l’idée chemine jusqu’à son aboutissement à travers les difficultés.
Le personnage existe : Enric Marco, né en Espagne en
1921, qui, jusqu’en 2005, passait pour un survivant des camps nazis. Il était
devenu président de l’Amicale de Mauthausen, il avait été un syndicaliste en
vue – et apprécié. Un historien, révélant l’imposture sur laquelle reposait
l’essentiel de sa notoriété, a fait de cet homme un proscrit, un salaud :
il n’a été dans un camp nazi que bien après la guerre, comme visiteur, et tout
ce qu’il racontait dans ses nombreuses conférences reposait sur ses lectures.
Comme d’autres, parmi lesquels Claudio Magris ou Vargas
Llosa, Javier Cercas a éprouvé une certaine fascination, mêlée de répulsion,
pour Enric Marco. Celui-ci étant toujours vivant, il l’a rencontré longuement,
avec l’intention de le placer face à ses mensonges et d’éclaircir l’invention
de cette vie romanesque à travers un roman sans fiction, à la manière de Truman
Capote ou d’Emmanuel Carrère, qu’il cite comme des modèles.
Roublard génial, voire professionnel, embobineur ou
emberlificoteur hors pair, sacré charlatan, diplômé ès création et usage de la
confusion, fabulateur exceptionnel, comédien prodigieux, séducteur et menteur,
il n’y a jamais trop de mots pour décrire la manière dont Enric Marco manipule
certains éléments de la vérité afin d’en faire le socle de sa gloire. Gloire,
dira-t-il souvent, dont il ne tire d’autre profit que le bien collectif. Car,
s’il n’avait pas été là pour le faire, qui aurait parlé aux Espagnols des camps
de la mort de la Seconde Guerre mondiale ?
Souvent irrité par le bonhomme, Javier Cercas multiplie les
précautions. Citant le récit qu’Enric Marco fait de sa vie, l’écrivain glisse
immédiatement : « ou il dit que », car le doute est présent à
chaque instant. Et tout n’est pas vérifiable…
L’imposteur est la
biographie d’un homme trop parfait pour être vrai. Et la confrontation du
biographe avec son sujet, en vue de faire avouer à celui-ci quelques-unes des
libertés qu’il a prises avec les faits. Jusqu’à, parfois, le faire
craquer : laissez-moi au moins cela, dit en substance Enric Marco quand il
se rend compte qu’il ne restera plus rien de son personnage après que Javier
Cercas en aura démonté toutes les tricheries.
L’imposteur est le roman possible d’un sujet impossible, une réflexion sur le vrai et le faux autant que sur l’art de la fiction, une formidable plongée au cœur du travail littéraire. Et le plus beau livre que nous avons lu depuis un certain temps.
L’imposteur est le roman possible d’un sujet impossible, une réflexion sur le vrai et le faux autant que sur l’art de la fiction, une formidable plongée au cœur du travail littéraire. Et le plus beau livre que nous avons lu depuis un certain temps.
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