jeudi 21 septembre 2017

Thomas Gunzig, Prix Filigranes

Les prix littéraires attribués sous des enseignes de librairies ne sont pas, au fond, si différents des autres. Celui de Filigranes, à Bruxelles, avait sélectionné sept ouvrages qui auraient pu, presque tous, figurer dans les listes des jurys traditionnels. L’an dernier, d’ailleurs, le premier Prix Filigranes avait couronné Le dernier des nôtres, d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre (Grasset), qui avait reçu ensuite le Grand Prix du roman de l’Académie française. Ce ne sera très probablement pas le cas, et on s’en désole, du lauréat 2017, mais on se réjouit, pour un tas de raisons, de voir un coup de projecteur dirigé vers La vie sauvage, de Thomas Gunzig. Il était par ailleurs le seul écrivain belge de la sélection.
Il y a bientôt vingt-cinq ans que cet ancien vendeur de livres – il a travaillé une dizaine d’années chez Tropismes, une des plus belles librairies bruxelloises, et voilà qu’une autre le récompense – fournit avec une belle régularité des écrits sous toutes les formes, beaucoup de nouvelles, du roman, du théâtre, un scénario (Le Tout Nouveau Testament, de Jaco Van Dormael), des chroniques en pagaille…
Le cynisme tendre, un faux cynisme et une vraie tendresse, qu’il pratique fait mouche, une fois encore, dans son dernier livre, un roman cette fois. La vie sauvage est l’histoire d’un garçon qui a survécu, bébé, à un accident d’avion dans lequel ses parents sont morts en compagnie de tous les autres occupants de l’appareil et a grandi dans des villages africains en proie à des guerres qui ne disaient pas toujours leur nom mais avaient tous les effets d’une guerre déclarée, parfois en pire.
Retrouvé, « sauvé » de la barbarie, Charles rejoint l’Europe et la famille de son oncle Alain, quinquagénaire massif et rougeaud, bourgmestre (c’est ainsi qu’on appelle un maire en Belgique) de sa commune, parfait politicard rompu aux manœuvres pas toujours honnêtes de son milieu. Il est affublé d’une femme sophistiquée, aussi désœuvrée que débordée, et de deux enfants adolescents. Aurore a seize ans et des velléités d’indépendance bien masquées par la manière dont elle fait disparaître ses gros seins, trop gros, dans des vêtements amples. Frédéric est très pâle, passionné d’informatique et surtout des pires images qu’on peut glaner sur Internet quand on en visite les bas-fonds, assez insignifiant dès qu’il se trouve en groupe, chose qu’il préfère d’ailleurs éviter.
Charles a laissé, dans la jungle – je le dis ainsi pour aller vite –, la jeune fille qu’il aime, Septembre, et le secret qu’ils possèdent en commun : l’endroit où est entreposé un gros paquet de dollars. C’est malgré lui qu’il s’est retrouvé en Europe, mais forcément pour son bien, pensent les bien-pensants, et il ne rêve que de retrouver sa belle, comparables aux images les plus fortes du Cantique des cantiques ou de la poésie de Baudelaire. Car Charles est loin d’être inculte : il a beaucoup lu – et bien lu, comme le prouve sa première intervention en classe, à propos de Rimbaud, alors que tout le monde croyait qu’il allait être largué. Thomas Gunzig parsème son roman de citations qui sont les cailloux semés par Charles sur le chemin du retour.
Mais il ne suffit pas d’avoir les cailloux, il faut aussi trouver le moyen de forcer les autres à son départ. C’est alors une machination à laquelle participe le charme naturel de l’adolescent et un art de la séduction dont il a rapidement compris l’usage qu’il pouvait faire.
La vie sauvage est un roman parfois déconcertant, toujours réjouissant.

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