Les prix littéraires attribués sous des enseignes de
librairies ne sont pas, au fond, si différents des autres. Celui de Filigranes,
à Bruxelles, avait sélectionné sept ouvrages qui auraient pu, presque tous,
figurer dans les listes des jurys traditionnels. L’an dernier, d’ailleurs, le
premier Prix Filigranes avait couronné Le
dernier des nôtres, d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre (Grasset), qui avait
reçu ensuite le Grand Prix du roman de l’Académie française. Ce ne sera très
probablement pas le cas, et on s’en désole, du lauréat 2017, mais on se
réjouit, pour un tas de raisons, de voir un coup de projecteur dirigé vers La vie sauvage, de Thomas Gunzig. Il
était par ailleurs le seul écrivain belge de la sélection.
Il y a bientôt vingt-cinq ans que cet ancien vendeur de
livres – il a travaillé une dizaine d’années chez Tropismes, une des plus
belles librairies bruxelloises, et voilà qu’une autre le récompense – fournit avec
une belle régularité des écrits sous toutes les formes, beaucoup de nouvelles,
du roman, du théâtre, un scénario (Le
Tout Nouveau Testament, de Jaco Van Dormael), des chroniques en pagaille…
Le cynisme tendre, un faux cynisme et une vraie tendresse,
qu’il pratique fait mouche, une fois encore, dans son dernier livre, un roman
cette fois. La vie sauvage est l’histoire
d’un garçon qui a survécu, bébé, à un accident d’avion dans lequel ses parents
sont morts en compagnie de tous les autres occupants de l’appareil et a grandi
dans des villages africains en proie à des guerres qui ne disaient pas toujours
leur nom mais avaient tous les effets d’une guerre déclarée, parfois en pire.
Retrouvé, « sauvé » de la barbarie, Charles rejoint
l’Europe et la famille de son oncle Alain, quinquagénaire massif et rougeaud,
bourgmestre (c’est ainsi qu’on appelle un maire en Belgique) de sa commune,
parfait politicard rompu aux manœuvres pas toujours honnêtes de son milieu. Il
est affublé d’une femme sophistiquée, aussi désœuvrée que débordée, et de deux
enfants adolescents. Aurore a seize ans et des velléités d’indépendance bien
masquées par la manière dont elle fait disparaître ses gros seins, trop gros,
dans des vêtements amples. Frédéric est très pâle, passionné d’informatique et
surtout des pires images qu’on peut glaner sur Internet quand on en visite les
bas-fonds, assez insignifiant dès qu’il se trouve en groupe, chose qu’il
préfère d’ailleurs éviter.
Charles a laissé, dans la jungle – je le dis ainsi pour
aller vite –, la jeune fille qu’il aime, Septembre, et le secret qu’ils
possèdent en commun : l’endroit où est entreposé un gros paquet de
dollars. C’est malgré lui qu’il s’est retrouvé en Europe, mais forcément pour
son bien, pensent les bien-pensants, et il ne rêve que de retrouver sa belle,
comparables aux images les plus fortes du Cantique
des cantiques ou de la poésie de Baudelaire. Car Charles est loin d’être
inculte : il a beaucoup lu – et bien lu, comme le prouve sa première
intervention en classe, à propos de Rimbaud, alors que tout le monde croyait qu’il
allait être largué. Thomas Gunzig parsème son roman de citations qui sont les
cailloux semés par Charles sur le chemin du retour.
Mais il ne suffit pas d’avoir les cailloux, il faut aussi
trouver le moyen de forcer les autres à son départ. C’est alors une machination
à laquelle participe le charme naturel de l’adolescent et un art de la
séduction dont il a rapidement compris l’usage qu’il pouvait faire.
La vie sauvage est un roman parfois déconcertant, toujours réjouissant.
La vie sauvage est un roman parfois déconcertant, toujours réjouissant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire