Hervé Prudon est mort et ça ne lui va pas. Ça ne me plaît pas davantage mais, mon avis, tout le monde s'en moque - demandez à Jean-Patrick Manchette, romancier noir de sa génération bien plus tôt en allé...
Je l'avais lu bien avant d'écrire des articles ici ou là. Quand j'ai écrit des articles, j'ai continué à le lire. Il en reste ceci, que je dresse devant vous pour qu'on se souvienne de la sincérité parfois brutale de l'écrivain qu'il était.
La femme du chercheur d’or (1997)
Hervé Prudon est surtout connu comme
auteur de polars, parmi lesquels Tarzan
malade fait figure de référence. Il a aussi écrit d’autres livres qui, pour
certains, donnent de lui une autre image. La
femme du chercheur d’or, qui vient de paraître, n’a par exemple rien d’un
polar. L’auteur, piètre Tarzan mais quand même malade, s’y met en scène dans
une quête plus ou moins journalistique (plutôt moins que plus) des derniers
orpailleurs de France.
Disons-le tout net, puisqu’il ne s’en
cache pas, l’or en soi ne l’intéresse guère et le choix de ce sujet ne s’est
imposé à lui que pour des raisons très privées : « J’ai épousé la fille d’un chercheur d’or, dont le livre paru il
y a vingt ans a relancé l’orpaillage en France. Jean-Claude Le Faucheur est
mort depuis. » La curiosité de Prudon ne s’est pas éteinte : « Je me suis demandé s’il restait des
chercheurs d’or en France. Si j’avais épousé la fille d’un druide, j’aurais
cherché des druides. »
Sans enthousiasme excessif, comme pour
remplir un devoir familial, le voici donc paresseusement en route vers le Gard
où il doit retrouver Janine, la deuxième femme de son beau-père. Après quelques
détours autant géographiques qu’intérieurs, il arrive à pied-d’œuvre pour
découvrir les motivations des chercheurs d’or. Ceux-ci ne rêvent plus guère de
vivre grâce au produit de leurs tamisages. Une technique sophistiquée, et plus
industrielle que l’image traditionnelle des pieds dans l’eau, de filtrage de
sable avec des tapis, donne une meilleure récolte que dans les rivières. Encore
n’est-ce pas vraiment suffisant pour constituer des revenus confortables. Les
paillettes d’or sont donc recyclées en bijoux fantaisie, voire redistribuées
dans les endroits où se tiennent des stages d’orpailleurs. Car, le mythe de l’or
étant une des choses les mieux partagées au monde, le produit de sa quête est
moins rentable que l’organisation du rêve…
Cette découverte, et quelques autres, procureraient
sans doute bien des désillusions à un auteur qui serait parti la foi chevillée
au corps. Hervé Prudon, lui, s’en moque. Il se contente de nous livrer, en
chapitres brefs, les fruits de son voyage, de noter que tout le monde, ou
presque, est bouddhiste ou a l’air de l’être, roule ses cigarettes, picole sec,
vit dans un monde à côté du monde, sans y accorder d’importance. Sauf Janine, la
gagnante, celle qui a gardé les pieds sur terre et reste peut-être le dernier
vrai chercheur d’or, mais si peu dans les rivières…
Et puis, Prudon parle de lui autant
que des autres, insuffle à son écriture une ironie vivifiante, et on partage
avec un vif plaisir l’histoire de son enquête sans objet véritable.
J’ai 3 ans et pas toi (1999),
Ouarzazate et mourir (réédition, 1999)
Hervé Prudon est d’abord connu comme
auteur de roman noir, l’actualité éditoriale, nous y reviendrons, nous le
rappelle d’ailleurs. Mais sa production la plus abondante reste, au jour d’aujourd’hui,
celle de livres signés par d’autres. « Plusieurs
occasions ont fait le larron, et j’ai été nègre, il y a une dizaine d’années, dans
le genre autobiographique, parfois pour des personnes qui n’avaient rien à dire
ni écrire », reconnaît-il dans sa préface. Alors, pour une fois, il
fait le nègre pour une noble cause : écrire les Mémoires de Juliette, trois
ans et qui n’en a pas, de mémoire.
Le livre est un curieux monologue à
deux voix. Comme dans tous les souvenirs écrits par un nègre qui respecte son
travail, il est écrit à la première personne. Mais, dans un habile jeu entre
celle qui est censée parler et celui qui rédige sans que l’aide la première, il
y a parfois des moments de révolte chez le personnage. Quand le nègre a
tendance à tomber dans le jeu de mots, un de ses péchés mignons, par exemple. Et
Papa, quelquefois, est saoul, ou il est triste… Allez comprendre cela, vous !
Forcément, quand on part du postulat : je ne me souviens de rien, alors je
vais vite tout raconter avant d’oublier, comment voulez-vous que cela ne tourne
pas à la fantaisie ?
J’ai 3 ans et pas toi. Na !
a-t-on envie d’ajouter, parce que le livre est plein de pieds de nez, d’histoires
d’enfant pour lesquelles Hervé Prudon a sans doute dû puiser dans son
antémémoire, et beaucoup observer. Il y a même des choses très graves, aux yeux
d’un enfant de trois ans – trente-six mois plus neuf, pour être précis. Heureusement
Léopold, le grand frère, est là pour remettre les choses en place, Léopold dit
c’est pas grave alors c’est pas grave. D’ailleurs, c’est pas gravé dans la
mémoire. C’est pire, petite Juliette : c’est écrit dans ton autobiographie
non autorisée…
Est-ce pour le contraste ? On
réédite Ouarzazate et mourir, soit le
Poulpe en version Prudon. Le héros croit perdre Cheryl, sa coiffeuse bien-aimée,
et manque en perdre la tête, jusqu’à devenir cynique et tourner presque tueur. Il
voit Ouarzazate, mais ne meurt pas, bien sûr. Prudon ne pouvait pas faire ça
aux auteurs qui avaient encore leurs aventures du Poulpe à écrire. Le
personnage est terriblement désenchanté. Ailleurs, il n’est pas toujours
joyeux-joyeux. Ici, il est franchement sinistre. Cela lui va bien, lui donne
une certaine élégance à la Mamounia de Marrakech. Mais, rien à faire, il ne
digère pas la mort de son vieil ami Tchang qui était devenu clochard et qu’on a
retrouvé dans une chambre d’hôtel où il s’était envoyé en l’air, avec deux
filles d’abord puis avec un revolver…
Il supporte encore moins sans doute ce
qu’est devenu Leo, le troisième de la bande. C’était dans une autre vie, semble-t-il.
Le Poulpe doit en posséder davantage qu’un chat. Celle-ci n’est pas la moins
intéressante.
Banquise (réédition, 2009)
Hervé Prudon à ses débuts, avec son
troisième roman publié en 1980. Un implacable rouleau de malheur qui compresse
tout sur son passage dans la banlieue de Sainte-Mouise-sur-Dèche. Une écriture
qui tourbillonne, virevolte, se brise, comme une danse désespérée. Des
personnages au bord d’eux-mêmes, prêt à s’expulser de leur vie. Ou à en
expulser d’autres, si besoin. Banquise
est un festival de noirceur emballé sur un rythme délirant. Jean-Patrick
Manchette avait aimé. Nous aussi.
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