L’Aile Brisée… Guynemer !
(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Compiègne,
18 octobre.
Dans sa
ville natale
C’était dans l’église où, quand il était petit, il allait le dimanche.
Tout autour, une heure avant la cérémonie, Compiègne en entier était là. Il y
avait les vieux avec la croix de 70 et la médaille militaire, les jeunes encore
à l’école, les dames et les demoiselles. Vieux, jeunes, dames l’avaient vu
souvent passer, les demoiselles peut-être, chacune en secret, l’avaient déjà
élu comme le leur, toute la ville était là : on allait prier pour
Guynemer.
Il faisait beau et le jour semblait férié. Les hommes avaient mis leur
chapeau de forme et les femmes leurs vêtements réservés. Si toute la France eût
été avertie, si elle eût pu tenir dans Compiègne, toute la France aurait eu la
même attitude. C’est à son enfant
qu’on allait dire une messe.
Mais Compiègne représenta la Patrie.
Sa mère aujourd’hui est là, sa sœur aussi, son père aussi. Toutes en
crêpe, la mère et la fille traversent la foule. Le père est devant. Généraux,
officiers, soldats, l’armée est présente, toute l’armée mêlée aux enfants, aux
femmes, aux vétérans. La mère et la fille sont droites, le père l’est aussi. Il
est des douleurs qu’il faut porter aussi haut qu’était haut celui qui les
provoqua. L’église est comble ; les fidèles par les trois portes
prolongent l’assistance sur la place et les deux rues. L’évêque de Beauvais,
mitre en tête, s’avance dans le chœur.
Les
« Cigognes »
Des chefs occupent les premiers rangs. Il est bon qu’ils soient là. Ils
attestent que, en même temps que les membres, le cerveau de la guerre est en
deuil. Mais ce que l’on voit dans cette église, dans cette église où Guynemer
s’asseyait quand il était jeune ce n’est pas cela, ce n’est pas non plus la
foule citadine c’est deux rangs seulement : à gauche, celui de la mère, de
la sœur, du père ; à droite, celui de cinq aviateurs. Ce sont ses frères
de l’escadrille des « Cigognes ». Ce sont ceux qui l’ont vu débuter,
monter et disparaître.
Mais deux béquilles au milieu de la foule frappent soudain les dalles.
Celui qui vient chercher place à ce service funèbre et qui pour avoir trop volé
rampe aujourd’hui sur ces morceaux de bois, c’est un de ses rivaux, c’est
Heurteaux. Jeune, blond, ferme, Heurteaux, avec ses vingt-cinq Boches culbutés
dans les airs, est la torche vivante qu'il fallait au service mortuaire de
Guynemer. Heurteaux s’assoit. L’évêque monte en chaire.
— Considère, Israël, ceux qui sont morts pour toi, dans les
hauteurs, criblés de blessures…
C’est ainsi qu’il commence. La famille, toujours droite, regarde celui
qui parle de leur fils.
— Il a choisi son arme et devint le plus grand héros de France…
Heurteaux, qui s’y connaît, inclina la tête comme pour dire : oui…
— Il escaladait le ciel et y projetait la lumière sur nous et le feu
sur les ennemis…
Toute la nef et les bas-côtés se levèrent.
— De temps en temps, entre deux victoires, venant sur Compiègne, de
son aile il effleurait sa ville…
Un bruit de
moteur
À cette seconde, un bruit de moteur traversa la voûte. Le frisson gagna
les corps, et les larmes les yeux. Un de ses frères, par une de ces devinations
qui ne tiennent plus du sol, à l’instant même où l’on évoquait son passage, en
sa mémoire, passait sur son église. Il passa trois fois et trois fois les
assistants tremblèrent…
Le
Petit Journal, 19 octobre 1917.
Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:
Dans la même collection
Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille
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