Dix bombes lâchées de nouveau sur Essen
Le récit du « Vengeur »
(De l’envoyé
spécial du Petit Journal.)
Épernay,
15 octobre.
Nos villes du
front que les avions boches viennent martyriser ont trouvé de beaux vengeurs.
Francfort, Trèves, Stuttgart ont payé pour elles, cela on le sait. Ce que l’on
ignorait encore aujourd’hui, c’est qu’Essen, une seconde fois, a payé aussi.
C’est une
lettre de l’aviateur qui nous l’apprend. L’aviateur, forcé d’atterrir en
Suisse, est interné dans ce pays. Parti avec ses camarades pour bombarder
Francfort, il a trouvé chemin faisant que le temps était beau et, de lui-même,
s’est confié la mission de pousser jusqu’à Essen. La jeunesse française aura
toujours du panache. Laissons-le parler lui-même. Nous ne pourrions rien ajouter
qui soit plus émouvant que son récit.
Voici la
lettre que, de son exil, il vient d’adresser à son chef d’escadrille :
10 bombes lâchées
« J’étais
parti de Nancy à 8 h. 45 avec … Pour l’aller, la route fut
facile à suivre. Je passais par Thionville à 10 heures. À 10 h. 35,
je voyais le Rhin, enfin, à 11 h. 40, je lâchais mes dix bombes sur
Essen. J’étais à 3 000 mètres.
» Pour
mon retour, la brume m’a gêné. N’ayant pu revoir le Rhin, alors je me suis
décidé à marcher sud-ouest constamment pendant quatre heures, espérant me
retrouver en France et atterrir au clair de lune, si je ne voyais pas Nancy. Je
m’étais cependant méfié du vent annoncé sud-ouest ; je n’ose croire que ma
boussole m’ait donné une fausse indication. À 3 h. 45, j’ai voulu
atterrir. Je suis descendu à 500 mètres. Là, j’ai été pris par trois
projecteurs et tiré par les canons antiaériens. Je me demande comment je n’ai
pas été descendu ; je voyais les éclatements et mon avion bondissait dans
les remous.
Atterrissage mouvementé
» Je suis
remonté à 1 800 mètres, fuyant d’ouest-sud-ouest pendant
quarante-cinq minutes. Voyant les montagnes, je me croyais dans les Vosges,
région Altkirch. Après ces quarante-cinq minutes, mon moteur ayant quelques
ratés, je me suis décidé à atterrir, me croyant en France. La brume de la
vallée me gênait et je ne pouvais apprécier la distance. J’ai accroché un
arbre ; perte de vitesse, capotage. L’appareil flambe, mais je m’en sors
indemne. Je me dirige sur les lumières ; je vois une enseigne écrite en
allemand, je me crois perdu. Il était cinq heures du matin. Je vois un paysan.
Je lui demande : « France ou Alsace ? » – « Suisse ! »
me répondit-il. J’avais atterri à quatre kilomètres des Boches. Je suis dans
l’hôtel où était Gilbert ».
Ajoutons que,
comme le Petit Journal l’a
dit, ce vaillant aviateur est le sergent Luc Jardin.
Voilà un coup
dont les Boches ne s’étaient pas vantés.
Le Petit Journal, 16 octobre 1917.
Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:
Dans la même collection
Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille
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