L’attaque
française
(De l’envoyé
spécial du Petit Journal.)
Front français des
Flandres, 9 octobre.
Collaborant
avec les Britanniques, des Français se battent dans les Flandres. Ils forment
l’armée Anthoine. Elle attaqua ce matin et fut victorieuse.
Depuis trois
mois, c’est la sixième pointe que, dans ce sol de boue, ils portent aux
Allemands. Le 31 juillet, le 16 août, le 20 et le 26 septembre,
le 4 octobre, sont les dates des cinq premières. La sixième est de cette
aurore. Fidèle à son passé, l’ennemi recula.
Sous la pluie, dans le vent
Il était 5 h. 20.
Toute la nuit le vent avait soufflé à pleine vitesse. Il avait plu aussi. Il
pleuvait et il ventait d’ailleurs depuis de longs jours. Pour mener la guerre
sous ce ciel qui ne cesse de fondre en eau, il faut être ou sorcier ou
optimiste. Expliquons-nous : il faut être sorcier pour deviner le temps ou
optimiste pour s’en moquer. Que le général Anthoine soit sorcier, voilà ce que
je ne voudrais avancer ; mais qu’il soit optimiste, cela je l’affirme.
Hier soir, il pleuvait à vous transpercer trois caoutchoucs superposés, voire
goudronnés. Le général Anthoine n’en eut pas le cœur mouillé, il dit :
« On attaquera demain à 5 h. 20. »
La vue est libre, la haine aussi…
La bataille se
passait sur un champ de plain-pied. Comme nous la vîmes hier, ainsi doivent
toujours l’imaginer les enfants. Rien ne séparait les adversaires. Plus de
crêtes, plus de monts, plus de ravins, les cotes éminentes de ces tristes
plaines s’appellent la cote 4, la cote 6 ; plus que le spleen
qui s’étend sur toutes ces terres humides, c’était plat. Nous étions sur
l’Yperlé à Steenstraete. Entre les Français et les Boches pas un observatoire,
pas une cheminée. De l’un à l’autre la vue était libre et la haine aussi. En
face de nous, en bordure de la forêt d’Houthulst, les pièces allemandes
tiraient leurs éclairs, trouaient le proche horizon. Derrière nous, c’étaient
les pièces françaises. Le bruit de nos départs mangeait le bruit de leurs
arrivées. Sous le vacarme le sifflement des nôtres, on voyait, sans les
entendre, éclater les marmites. Face à face, visage découvert, les artilleries
se battaient. Nous étions à Steenstraete. Nous y étions sans y être, car
Steenstraete n’est plus.
De la cour de
la ferme du Rossignol (comme s’il était possible qu’un rossignol eût jamais
chanté par ici), de la cour donc de cette ferme nous regardions le vaste champ
où montait autrefois le houblon et où s’élevaient à cette heure des geysers de
boue et de fumée. Ici comme à Verdun de glorieuses vedettes sanglantes nous
entouraient. Il n’est pas un coin du grand pays barbare des tranchées où, quand
vous vous faites décrire l’horizon, vous n’en voyiez surgir quelques-unes. De
Steenstraete, c’est au nord, tout près, à quinze cents mètres, la Maison du
Passeur où tant de Joyeux passèrent en effet et repassèrent, c’est au fond la
forêt d’Houthulst, dont les profondeurs cachent depuis trois ans un des
principaux chantiers de mort de l’ennemi, c’est Bixschoote, et c’est au milieu
le ruisseau encore obscur et qui demain, à 5 heures 20, sera
glorieux, le ruisseau Saint-Jean que bordent les nôtres et qu’à la grenade ils
traverseront.
Leur attaque
se fera sur 2 kilomètres ; le premier bond doit les porter entre la
ferme de la Victoire et la ferme d’Annibal. Si vous avez une carte, ne vous
crevez pas les yeux, vous ne découvrirez pas ces noms. Leurs parrains ne sont pas
des officiers d’état-major, ce sont les poilus…
On attaque à 5 heures 30 !
Il pleut. Il
pleut de façon écœurante. L’artillerie continue bien son massacre, mais c’est
au travers des nuages et l’on ne peut pas dire que ce soit la meilleure méthode
pour démolir ses objectifs.
Enfin, quand
on n’est pas sorcier, il faut être optimiste. Que le ciel le veuille ou non, on
attaquera à 5 h. 20. Dans ce pays lugubre, toute la nuit les feux des
canons vont former la voûte.
3 heures
du matin, la pluie cesse. Le canon redouble. L’artilleur de l’armée française
des Flandres ne vend pas sa mort au compte-gouttes ! 5 h. 20,
c’est décidé depuis la veille. L’infanterie française se lève sur le ruisseau
Saint-Jean.
Le terrain
n’est qu’un marécage, les trous d’obus sont autant de baignoires et ils
n’avancent que de trous d’obus en trous d’obus. Lutte contre les hommes, lutte
contre la boue. Magnifiques ! et si ce mot pouvait être réservé, c’est aux
fantassins, seuls, qu’il devrait aller. Ils vainquirent les hommes et la boue.
L’attaque, ce fut la victoire
À 7 h. 25,
ils atteignaient leur premier but, repartaient ; à 11 heures, ils
avaient tout enlevé : les blockhaus bétonnés, les fermes Lannes,
d’Islande, Houard, Catinat, Lassalle, les ruines de Veldhœck et les ruines de
Mangelaere.
Ils avaient
avancé de 1 800 mètres, ramené 300 Boches, 2 canons, 3 mitrailleuses.
Veinards pour
une fois, ils étaient tombés en pleine relève boche, ils chassèrent les
arrivants, et la relève, c’est eux qui la firent.
Le Petit Journal, 10 octobre 1917.
Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:
Dans la même collection
Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire