vendredi 13 octobre 2017

Une rivière célèbre comme une épidémie

Les fleuves et les rivières dessinent dans l’esprit de chacun une géographie personnelle. Elle est formée par la mémoire collective, l’histoire des civilisations, les voyages accomplis ou rêvés. Ou par le glissement sémantique qui a fourni un sens inédit à leur nom. Le premier cours d’eau à faire son apparition dans le nouveau roman de Paule Constant est le fleuve Madulé dont une caractéristique est d’abriter, sur ses rives, la moitié des derniers locuteurs du boutoul, une langue parlée par cent personnes. Le Madulé n’évoque rien de particulier, sinon peut-être pour les spécialistes de cette région du Congo. En revanche, le nom d’un de ses affluents, deux lignes plus loin, prend des allures de fin du monde : Ebola. Voilà qui parle dans l’effroi d’une épidémie de fièvre hémorragique dont cette partie de l’Afrique tentait encore, il y a peu, d’effacer les traces du dernier et virulent épisode en date.
Le titre du roman prend, d’un coup, une signification plus complexe que la simple rencontre entre les animaux et nous. Des chauves-souris, des singes et des hommes, cela résume le possible mode de transmission de la maladie. Sans résumer le livre, très éloigné du documentaire. Paule Constant plonge, comme elle l’a fait souvent, dans un continent dont elle perçoit et transmet les vibrations profondes, les ancrages lointains, le face à face parfois tragique avec le présent.
La romancière ne cède que quelques instants à la tentation d’expliquer, et après tout ce n’est pas inutile. La rencontre entre Agrippine et Virgile pose des éléments de compréhension à l’intention des ignorants que nous sommes. Agrippine a renoncé depuis longtemps au confort de l’exercice de la médecine en Europe et préfère se lancer dans des campagnes de vaccination au fond d’une brousse où personne ne va jamais. Virgile, sociologue et ethnologue, petit-fils d’un Médecin-Général colonial et rigide, étudie « le rapport entre les plantations d’hévéas et le réveil de maladies endémiques, par bouleversement de l’écosystème. » Leurs discussions ouvrent la voie théorique à ce qui arrive au même instant dans la forêt.
Olympe, fillette rejetée par les garçons du village, y a recueilli une chauve-souris trop petite pour faire une sauce, jouet vivant et porteur, elle l’ignore, d’une malédiction puisqu’il faut bien que les événements suivants trouvent leur articulation dans le symbole plutôt que dans les faits. Les faits sont simples : les garçons du village sont rentrés de la chasse avec la dépouille d’un grand singe, trophée digne de la manière dont ils racontent comment ils l’ont abattu. La viande de brousse en telle abondance, le bienfait est immense.
Mais les garçons n’ont peut-être pas tué le grand singe, d’une espèce qui plaît aux Blancs entreprenant un long voyage pour en apercevoir quelques exemples vivants. Il est probable qu’ils ont trouvé son cadavre et se sont contentés de le ramasser pour le ramener triomphalement sans s’inquiéter de savoir s’il n’était pas mort d’une maladie transmissible à l’homme. Ils ne participent pas aux débats entre Agrippine et Virgile…
Il n’y aura pas de bonne surprise : les décès se succèdent au village après le festin, la mort accompagne tous ceux qui sont passés par là, en commençant par les invités conviés avec générosité à partager ce don du ciel. Don empoisonné transformé, après le retour à Paris de Virgile porteur de tous les symptômes d’une fièvre hémorragique, en une maladie du nom d’Ebola. La rivière ne pouvait résister : là-bas, plus personne ne vit.

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