Harcelé, le Boche recule
(De l’envoyé
spécial du Petit Journal.)
Front de l’Aisne,
25 octobre.
Les Allemands
f… le camp !
Du calme, ils
ne regagnent pas la frontière, ils ne reculent même pas jusqu’à Laon, ce n’est
pas encore aujourd’hui que Paris pourra sortir ses lampions. Cette exclamation
ne signifie rien d’aussi joli ; elle n’entrouvre hélas ! aujourd’hui
qu’un horizon borné, cela on le savait et cependant, ce matin, elle a sonné
joyeusement le long de l’Aisne et ce fut d’un beau son.
La nuit, dans
le terrain retourné de la bataille, nos patrouilles allant tâter avaient
marché. L’avant-veille, nous avions été carrément victorieux, l’ennemi n’avait
pas cherché à le discuter, ses canons seuls avaient essayé de sauver
l’honneur ; il aboyait, il n’attaquait plus. Dans cette arène, le
sentiment de notre force et de notre adresse dominait. La réussite donnait
confiance, la bataille n’était pas terminée, le succès cheminait toujours, les
patrouilleurs patrouillaient.
Des pièces
trouvées sur des officiers allemands nous avaient indiqué l’état d’âme de
l’ennemi. Pour être calme, il ne l’était pas, pour savoir exactement ce qu’il
allait décider, il ne le savait pas. L’incertitude, preuve de la surprise,
régnait en lui. À une heure de distance, le commandement boche envoyait deux
ordres à un chef de batterie, le premier disait : « Tenez jusqu’au
bout, » le second : « Attelez de suite et repliez-vous ».
Le chef de batterie n’avait pas été le seul à constater l’indécision des siens.
Sûrs d’eux-mêmes, les Allemands n’avaient pas cru à notre succès ; devant
lui, ils se troublaient et, à cause de lui, se voyaient contraints à reculer.
S’ils appellent encore ce recul-là stratégique, c’est qu’à Berlin, tomber sur
le derrière, la figure défoncée sous le poing de l’assaillant n’est pas une
chute, mais simplement une méthode d’école de guerre.
Pas de
contre-attaques, du flottement dans leur pensée, du mouvement dans leur
secteur : les Boches flanchaient. Nos patrouilleurs avançaient.
Durant
l’attaque, nous lancions tant de feux sur les Boches que l’on pouvait
s’écrier : nous ne pouvons pas faire davantage. Nous l’aurions pu si nous
l’avions voulu ; nous avions bien d’autres batteries devant eux : celles-là
ne bronchaient pas. Sous leurs feuillages, elles attendaient la syncope de
l’Homme aux clous. Elle s’est déclarée, nos pièces aussi. Il n’y eut pas de
réflexion, il n’y eut pas de conseils : c’était prévu. En somme, pas
d’arrêt, on les traqua. Pendant ce temps, l’émotion puissante que fait naître
une avance s’élevait sur le champ de bataille. On attelait les chevaux aux
caissons et aux monstres et les artilleurs fouettaient devant eux. Les
télégraphistes allongeaient leurs fils, les postes sanitaires portaient plus
loin leurs croix rouges, les réserves foulaient du terrain conquis. C’était
l’avance !
Nos
patrouilleurs s’en allaient donc. Ils dévalèrent doucement des pentes pour se
rendre compte de ce qui se passait dans ce fond. Ils arrivèrent à la carrière
du Charbon, regardèrent par un trou, les Boches bouclaient leurs paquets. Ils
se glissèrent vers celle du Tonnerre, les Boches lui disaient adieu. Ils
pénétrèrent dans Pinon, les Boches déménageaient. Nos patrouilleurs ne dirent
rien, revinrent sur leurs pas, enrôlèrent un bataillon et reparurent dans le
village. Ils venaient les aider. L’ennemi était en pleine évacuation et
chargeait son matériel ; les nôtres sont sensibles, la pitié les prit
devant des hommes si encombrés. « Vous n’allez pas emporter
ça ? », leur dirent-ils. Ils obéirent. Ils abandonnèrent tout le
matériel, il faudra plusieurs jours pour en faire le compte. Et vers dix heures
du matin, de la Tour de Pinon, comme une radieuse étoile, une fusée française
s’élevait. On la vit de tout le plateau. Il y eut d’autres joies : un
groupe d’ennemis était cerné depuis le matin par nos troupes. Toute la nuit,
sur les sommets d’un bois, il avait résisté. Un aviateur, pensant que ses
frères devaient avoir faim, vint leur jeter du pain et des conserves. Il visa
mal, la manne tomba chez nous. Dégoûtés, les Boches se rendirent, ils étaient 126.
Pargny-Filain
est pris, nos troupes sont emballées, les prisonniers font la queue ;
l’ennemi patauge dans la boue et se hâte de repasser le canal, nos obus les
accompagnent.
Le Petit journal, 26 octobre 1917.
Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:
Dans la même collection
Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
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Voyages au front de Dunkerque à Belfort
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Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
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Dans les remous de la bataille
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