Je viens d'apprendre la mort de Frank McCourt. Il n'a écrit que trois livres, mais quels livres! Les cendres d'Angela pour la partie irlandaise de sa vie, C'est comment l'Amérique? pour le versant américain, et Teacher Man côté professionnel. Avant de retourner dans cette œuvre pour les besoins d'un article nécrologique, je vous confie l'article que j'avais consacré au dernier volet de sa trilogie autobiographique, sans en changer un mot pour préserver l'enthousiasme qui m'habitait après cette lecture.
Frank McCourt termine ses Mémoires en force et en beauté. Il ne s’était jamais considéré comme un écrivain avant de connaître un succès aussi justifié qu’impressionnant avec Les cendres d’Angela. Il avait poursuivi le récit de sa vie dans C’est comment l’Amérique? Malgré tout le bien qu’on pense de ces premiers deux livres, Teacher man leur est encore supérieur. Et, parce qu’il faut user de ce mot avec une grande prudence, nous glisserions bien, en catimini, sans hausser le ton: chef-d'œuvre.
Devenu professeur après avoir cru rater son examen, voici Frank McCourt dans la vie active, sans autre ambition particulière que de bien accomplir son travail. Ses débuts sont remarquables:
«Le premier jour de ma carrière, j’ai failli être viré pour avoir mangé le sandwich d’un lycéen. Le deuxième jour, j’ai failli être viré parce que j’avais évoqué la possibilité d’une relation avec un mouton. A part ça, il n’y a rien eu de marquant lors des trente années que j’ai passées dans les classes de la ville de New York. Je me suis souvent demandé ce que je faisais là. A la fin, je n’en revenais pas d’avoir tenu si longtemps.»
Rien de marquant? Sinon qu’il y a quantité d’épisodes à pisser de rire - vous nous pardonnerez l’expression quand vous les aurez lus. Chaque enseignant, n’importe où dans le monde, est probablement un fabuleux réservoir d’anecdotes. Mais celui-ci, maintenant que la retraite lui a offert le temps d’écrire, les met en scène comme personne. Et, au contraire de certains écrivains auxquels on peut reprocher de se disperser plutôt que de se consacrer à leurs ouvrages, il est impossible d’en vouloir à Frank McCourt: son expérience est irremplaçable, le lien intime entre son métier et son écriture est ce qui donne chair à ses livres.
Il n’y a pas de secret: le talent n’est pas partagé équitablement entre tous ceux qui veulent raconter leur carrière professionnelle. Il y a, quand même, quelques pistes à explorer pour expliquer le charme fou d’un récit qu’il est impossible de lâcher en cours de route.
La parfaite honnêteté avec laquelle l’auteur décrit son désarroi est une des caractéristiques les plus attachantes. Il ne sait pas comment dompter ces adolescents fougueux qui ont bien autre chose à faire que prêter attention à des cours d’anglais. Il reconnaît qu’il est dépassé par les événements et qu’il bricole à chaque instant. Un bricolage de génie: comparer la structure d’un stylo à bille à celle d’une phrase ou faire lire des recettes de cuisine à une classe cosmopolite, voire emmener celle-ci en pique-nique, ce ne sont pas des méthodes apprises lors de sa formation. On ne lui a pas appris non plus à gérer le jet de sandwich en plein cours, il est vrai…
Sa bonne volonté n’a pas de limites. Son but est d’intéresser ses élèves, peu importe le moyen pour y parvenir. Bien sûr, c’est lui qui raconte et il pourrait être soupçonné de se donner le beau rôle, sous ses airs modestes. Mais quelque chose - cette honnêteté déjà évoquée - fait penser que tout est vrai. Si les scènes sont embellies par la manière de les raconter, son rôle ne l’est certainement pas.
Poussons l’esprit critique jusqu’au bout: quand bien même cela serait? Après tout, que nous importe la vie de Frank McCourt? Nous avons là un personnage formidable, digne du professeur du Cercle des poètes disparus. En même temps, un homme comme n’importe qui, avec ses désirs et ses faiblesses.
Insidieusement se glissent çà et là quelques réflexions sur le travail éreintant et exaltant qui consiste à transmettre du savoir, de la curiosité. L’enseignement étant un des milieux les plus souvent remis en question, la pratique de Frank McCourt gagne à être examinée de près.
Frank McCourt termine ses Mémoires en force et en beauté. Il ne s’était jamais considéré comme un écrivain avant de connaître un succès aussi justifié qu’impressionnant avec Les cendres d’Angela. Il avait poursuivi le récit de sa vie dans C’est comment l’Amérique? Malgré tout le bien qu’on pense de ces premiers deux livres, Teacher man leur est encore supérieur. Et, parce qu’il faut user de ce mot avec une grande prudence, nous glisserions bien, en catimini, sans hausser le ton: chef-d'œuvre.
Devenu professeur après avoir cru rater son examen, voici Frank McCourt dans la vie active, sans autre ambition particulière que de bien accomplir son travail. Ses débuts sont remarquables:
«Le premier jour de ma carrière, j’ai failli être viré pour avoir mangé le sandwich d’un lycéen. Le deuxième jour, j’ai failli être viré parce que j’avais évoqué la possibilité d’une relation avec un mouton. A part ça, il n’y a rien eu de marquant lors des trente années que j’ai passées dans les classes de la ville de New York. Je me suis souvent demandé ce que je faisais là. A la fin, je n’en revenais pas d’avoir tenu si longtemps.»
Rien de marquant? Sinon qu’il y a quantité d’épisodes à pisser de rire - vous nous pardonnerez l’expression quand vous les aurez lus. Chaque enseignant, n’importe où dans le monde, est probablement un fabuleux réservoir d’anecdotes. Mais celui-ci, maintenant que la retraite lui a offert le temps d’écrire, les met en scène comme personne. Et, au contraire de certains écrivains auxquels on peut reprocher de se disperser plutôt que de se consacrer à leurs ouvrages, il est impossible d’en vouloir à Frank McCourt: son expérience est irremplaçable, le lien intime entre son métier et son écriture est ce qui donne chair à ses livres.
Il n’y a pas de secret: le talent n’est pas partagé équitablement entre tous ceux qui veulent raconter leur carrière professionnelle. Il y a, quand même, quelques pistes à explorer pour expliquer le charme fou d’un récit qu’il est impossible de lâcher en cours de route.
La parfaite honnêteté avec laquelle l’auteur décrit son désarroi est une des caractéristiques les plus attachantes. Il ne sait pas comment dompter ces adolescents fougueux qui ont bien autre chose à faire que prêter attention à des cours d’anglais. Il reconnaît qu’il est dépassé par les événements et qu’il bricole à chaque instant. Un bricolage de génie: comparer la structure d’un stylo à bille à celle d’une phrase ou faire lire des recettes de cuisine à une classe cosmopolite, voire emmener celle-ci en pique-nique, ce ne sont pas des méthodes apprises lors de sa formation. On ne lui a pas appris non plus à gérer le jet de sandwich en plein cours, il est vrai…
Sa bonne volonté n’a pas de limites. Son but est d’intéresser ses élèves, peu importe le moyen pour y parvenir. Bien sûr, c’est lui qui raconte et il pourrait être soupçonné de se donner le beau rôle, sous ses airs modestes. Mais quelque chose - cette honnêteté déjà évoquée - fait penser que tout est vrai. Si les scènes sont embellies par la manière de les raconter, son rôle ne l’est certainement pas.
Poussons l’esprit critique jusqu’au bout: quand bien même cela serait? Après tout, que nous importe la vie de Frank McCourt? Nous avons là un personnage formidable, digne du professeur du Cercle des poètes disparus. En même temps, un homme comme n’importe qui, avec ses désirs et ses faiblesses.
Insidieusement se glissent çà et là quelques réflexions sur le travail éreintant et exaltant qui consiste à transmettre du savoir, de la curiosité. L’enseignement étant un des milieux les plus souvent remis en question, la pratique de Frank McCourt gagne à être examinée de près.
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