jeudi 13 septembre 2012

Dans « Brut », de Dalibor Frioux, les Norvégiens sont les rois du pétrole

Brut, le premier roman de Dalibor Frioux, est un conte noir de belle ampleur. Il y invente un pays. Ou plutôt, il imagine ce que pourrait devenir la Norvège dans quelque temps : une des grandes puissances mondiales grâce à une sage gestion de réserves pétrolières presque inépuisables, dont les bénéfices rejaillissent sur la prospérité du pays et de sa population. Le rêve d’une nation heureuse et ne manquant de rien a été réalisé. Villages de vacances et résidences pour retraités ont été installés sur les côtes de la Grèce et de la Tunisie. La semaine de travail est limitée à vingt heures, même si un des arguments de la campagne électorale en cours propose de l’augmenter à vingt-cinq. Les Norvégiens sont à peu près les seuls à pouvoir se payer des voyages en avion rendus inaccessibles au reste de l’humanité en raison de la hausse du baril de pétrole. Le comité du prix Nobel de la Paix dispose de fonds quasiment illimités pour enquêter à travers les cinq continents sur les lauréats potentiels. Et l’éthique préside à la richesse, les industries de l’armement et du tabac n’ayant rien à tirer d’un système ouvert, en revanche, sur le monde. La preuve en est faite par la conception de grandes exploitations agricoles en Afrique, notamment, pour fournir à la Norvège les produits qu’elle consomme tout en partageant les revenus avec la population locale. Bref, que du gagnant-gagnant, et le paradis sur terre dans le petit royaume devenu monarchie élective…
Mais, puisque nous parlions de conte noir, le tableau idyllique doit avoir une face moins reluisante. Elle ne reste pas cachée longtemps. Non seulement le pays et ses réalisations ne sont pas à l’abri du terrorisme, mais certains des mécanismes qui président à son bien-être ont des effets collatéraux assez malheureux. Les champs africains sont brûlés. Un centre d’accueil pour immigrés est attaqué. Le populisme de droite relève la tête. Un plongeur qui a travaillé à l’installation de plateformes d’extraction dans les champs pétrolifères traîne sa misère, plus heureux cependant que d’autres collègues, morts sans grande reconnaissance. Et la lutte pour le pouvoir se révèle aussi féroce que dans des contrées moins privilégiées.
De nombreux personnages incarnent les différentes positions que chacun occupe dans la société norvégienne. Tandis que le combat d’homme à homme entre deux d’entre eux symbolise l’environnement vicié dans lequel la vertu fait mine de s’organiser. L’un est au sommet de la pyramide, bien que celle-ci vacille, l’autre en est très éloigné – il s’agit du plongeur évoqué plus haut.
Les utopies ont la vie dure et la peau fragile. Dalibor Frioux, en construisant son monde idéal, savait qu’il était pourri de l’intérieur en raison même des principes sur lesquels il se fonde. Il connaissait aussi les endroits où glisser les grains de sable qui grippent la belle mécanique sociale. Et qui apportent à son roman les éléments contradictoires nécessaires à son fonctionnement.

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