Paru en 2012, le livre de
Jean-Loup Trassard, L’homme des haies,
ne semblait pas comme chez lui, cette année-là, dans la dernière sélection du
prix Renaudot. Avec ses gros habits de paysan, Vincent, le narrateur, détonnait
dans le milieu parisien. Certes, l’écrivain n’y est pas totalement étranger, à
ce milieu, puisqu’il publie chez Gallimard depuis une cinquantaine d’années.
Mais c’est dans la campagne mayennaise qu’il va chercher, à la meilleure source,
les gestes traditionnels du cultivateur et de l’éleveur – les siens, pour une
partie de sa vie. Son livre ne sentait même pas, comme les autres, l’encre
fraîche (il sent la terre) : au lieu d’avoir été publié à la rentrée,
comme il se doit quand il est question de prix littéraires d’automne, il était
paru au printemps, sans bruit excessif. Une raison de saluer, en guise de
remerciement, le ou les jurés qui ne l’avaient pas oublié et l’ont porté
jusqu’à la dernière étape avant le prix Renaudot. Même si Jean-Loup Trassard ne
l’a pas reçu, on s’y attendait, l’écrivain et photographe, ancien fermier de
droits communaux, aura au moins été placé dans la lumière. Cela justifie bien
un retour sur un ouvrage réédité au format de poche.
L’homme des haies pourrait être un livre pratique dont nous
n’aurions pas, ou plus, l’usage. On y apprend que « la faucille fait bien pour le flanc de haie où c’est de l’herbe
qui pousse, s’il y a des ronces j’aime mieux prendre ma serpe parce qu’à la
serpe le manche est plus long, trente centimètres, non, un peu moins, mettons
vingt-sept, vingt-huit, tandis que le manche d’une faucille est juste pour une
largeur de main et quand on coupe des ronces à la faucille, ça arrive, on a
bien plus de chance de se faire griffer la main droite. »
On y apprend que la huppe
fait pu-pu, et même pu-pu-pu. Que les bourdons du trèfle ont le derrière roux
et ne piquent pas. On y apprend que les patates, « comme poudrées par la terre sèche », sont douces à la
main qui les dégerme facilement avec le pouce, mais aussi qu’effeuiller les
betteraves encore en terre (« il
faut prendre toutes les feuilles d’une seule poignée et tourner en serrant dur
pour les arracher à ras de la betterave ») finit, bien que les
feuilles soient tendres, par érucer
la peau au-dessus du pouce, c’est-à-dire la râper, selon le glossaire qui, en
fin de volume, explique les nombreux termes de patois mayennais semés dans le
récit comme de petites graines poétiques qui donneront, ou pas, des fruits dans
l’esprit du lecteur.
La précision des descriptions est presque
clinique, mais les mots qu’utilise Jean-Loup Trassard n’ont jamais la froideur
d’un constat. Ils paraissent usés aux mêmes endroits que les outils et l’usure
leur donne un brillant beaucoup plus émouvant que celui du neuf. L’homme des haies, livre inutile pour la
plupart d’entre nous, est indispensable. Il offre en partage une science
empirique grâce à laquelle l’homme et la nature étaient des alliés avant l’ère
des grandes exploitations agricoles et de l’arrachage des haies. Jean-Loup
Trassard mérite mieux qu’un prix littéraire, il mérite des lecteurs.
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