Romanesque, forcément romanesque… Le romancier américain est
capable d’aller chercher très loin les ressorts des rebondissements de
thrillers ésotériques dans lesquels tout semble possible. Même et surtout l’invraisemblable.
Les romans de Dan Brown sont de ceux dont on aime dire du
mal : c’est écrit n’importe comment, voilà l’argument massue avec lequel
se trouve assommé le lecteur qui aime ça. Vous, peut-être. Nous, un peu, du
moins au début d’Inferno.
Robert Langdon, professeur de symbologie (oui, oui…) fait
pour la quatrième fois son Indiana Jones. Mais il est dans la panade. Il se
retrouve dans un lit d’hôpital avec pour dernier souvenir celui de l’université
du Massachussetts où il enseigne. En réalité, il est à Florence, deux jours
plus tard, avec à la tête une blessure par balle qui le fait atrocement
souffrir. Il est en proie à une hallucination récurrente dont le prologue, tout
en rythme, nous a fourni les principales images : un homme est poursuivi,
avec la ville de Florence en toile de fond, beau décor chargé d’œuvres
artistiques évoquées au passage, et le mystère s’installe à propos d’un objet
inconnu et important pour l’humanité – rien que ça, mais Dan Brown ne fait pas
les choses à moitié. Comme dans les paroles prononcées, définitives :
« Mon don est le futur. / Mon don est le salut. / Mon
don est l’Enfer. »
Le comble, c’est qu’on marche, qu’on court, et qu’on est
déjà au premier chapitre, dans les souvenirs parcellaires de Robert Langdon.
Très parcellaires. Où suis-je ? Qu’est-il arrivé ? C’est à peu près
tout ce qu’il peut dire pour démêler les causes de l’état dans lequel il se
trouve, hanté par l’image d’une femme voilée et tout surpris de reconnaître,
par la fenêtre, une architecture médiévale qu’il connaît bien et dont il sait
qu’elle ne trouve pas dans le Massachussetts mais à Florence. Où, dans sa
chambre d’hôpital, deux médecins s’occupent de lui tandis que glisse, à l’extérieur,
la silhouette d’une femme baraquée et habillée de noir. On devine qu’elle ne
veut pas que du bien à Richard Langdon – après tout, quelqu’un lui a tiré
dessus – et elle le prouve en abattant le Dr Marconi tandis que le Dr Brooks,
une femme plus jeune, prouve son sang-froid en réussissant à s’enfuir avec un
Langdon bourré de sédatifs…
De l’action, de l’action !
On ne sait toujours pas pourquoi, bien entendu. Mais le
troisième chapitre a fourni un intéressant élément d’information : à 5
miles de la côte italienne se trouve un yacht luxueux aménagé comme un QG
militaire, le Mendacium,
d’où le chef du Consortium dirige ses opérations discrètes dans le monde
entier, au service de qui peut se payer des équipes d’une redoutable efficacité
pour tous les usages, sans jugement moral. Ce qui sous-entend que les
opérations sont souvent immorales. Celle-ci, dans laquelle Langdon est impliqué
à son insu, semble d’une importance capitale. Et susceptible d’échouer, ce que
déteste le boss du Consortium. Il a construit sa réputation sur deux règles d’or :
ne jamais faire une promesse que vous ne pouvez pas tenir et ne jamais mentir à
un client…
Avant la fin du seizième chapitre, il y aura encore pas mal
d’action. Le Dr Brooks est désormais appelée par son prénom, Sienna. Elle est
dotée d’une intelligence exceptionnelle – un quotient intellectuel de 208, dont
Richard Langdon ne savait pas que cela existait (nous non plus). Et Langdon n’est
pas insensible au charme qu’elle dégage, ce qui laisse d’autant mieux augurer d’un
rapprochement plus intime que Sienna, elle aussi… enfin, vous voyez, les choses
se mettent en place assez vite.
Le mystère de l’intrigue, en revanche, ne se dévoile que
très progressivement. Le mystérieux objet est retrouvé dans une poche secrète
de la poche de Langton, qui en ignorait l’existence : un tube de titane
qui s’ouvre sous la pression d’un doigt. Pas n’importe quel doigt, l’ouverture
est programmée en fonction des empreintes. Celles de Langdon, comme par hasard.
Et nous voici plongés dans l’univers de Dante, de son Enfer et
des peintres qui s’en sont inspirés, avec des allusions à la Grande Peste du
Moyen Age et à la Renaissance qui suivit. Le message se complète : pour
renaître, il faut mourir ; pour trouver le Paradis, il faut passer par l’Enfer…
C’est loin d’être fini. Mais le dix-huitième chapitre,
malheureusement, est un tunnel explicatif comme Dan Brown a le défaut d’en
placer parfois dans ses romans, parce qu’il faut bien aider ce benêt de lecteur
à comprendre de quoi il retourne : ici, une conférence que Robert Langdon
a faite deux ans plus tôt à Vienne sur L’Enfer de Dante. Cette
conférence, certes, livrera quelques-unes de clés de l’énigme. Ou plutôt du jeu
de piste, car le roman est construit sur une série d’indices qu’il faut décoder…
avant de se rendre compte, le plus souvent, qu’ils ont été faussés à la base.
En même temps que Langdon court, en compagnie de Sienna,
dans Florence, puis dans Venise et enfin dans Istanbul pour que l’humanité
échappe au mystérieux danger qui la menace, ils sont tous deux poursuivis par
une véritable armée selon toute évidence décidée à les abattre.
Mais, puisque tout est construit sur des données partielles,
il faudra aussi admettre que les personnages ne jouent pas tous le rôle qui
semble le leur. Heureusement, le lecteur peut être certain que son héros
préféré (?), Richard Langdon, donc, est bien celui qu’il a déjà rencontré dans
les ouvrages précédents, un puits de science, un lecteur de symboles, un
claustrophobe (il a souvent l’occasion d’être enfermé dans Inferno)
attaché à sa montre Mickey qu’il a pourtant égarée tout au début du roman.
Et si tout ce qui nous est raconté ici ne consistait qu’à
lui donner une chance de retrouver sa montre fétiche ? Puisque l’humanité,
de toute manière, court vers sa disparition si sa croissance se poursuit au
rythme actuel… Quand on arrive à la fin, on se demande en effet pourquoi il
fallait déployer autant d’énergie pour une cause perdue d’avance. Le chercheur
fou pour qui la peste fut un bienfait, et qui cherche à en reproduire les
heureuses conséquences en limitant le nombre d’habitants de la planète, n’avait
peut-être pas tort…
On s’étrangle.
A force de manipuler les symboles, Dan Brown donne l’impression
de s’être pris les pieds dans le tapis. Son thriller est pourtant un honnête
divertissement, jusqu’au moment où il tombe dans une idéologie inquiétante, ce « transhumanisme »
qui déboucherait sur un monde meilleur. Des mondes meilleurs, certains ont déjà
essayé de nous en fourguer quelques-uns, à prix d’ami – on a vu ce que cela a
donné…
Le Da Vinci Code m'avait déjà bien fait rire : alors pourquoi pas Inferno, s'il me tombe sous la main...
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