Tout à la fin du livre,
deux mots déçoivent : « texte
inachevé ». Dommage. Car, dans Les pissenlits, Kawabata nous avait une fois encore promenés,
comme il l’a fait dans toute son œuvre, sur la ligne ténue qui sépare le réel
de sa perception, mobilisant les sens autant que l’intelligence. Du côté des
sens, domine le jaune des pissenlits qui éclosent au printemps à Ikuta. Avec le
son d’une cloche. Du côté de l’intelligence, une énigme apparemment
insoluble : pourquoi Inéko souffre-t-elle de cécité devant le corps humain ?
La jeune fille, qui
faisait du cheval en compagnie de son père, a vu celui-ci tomber d’une falaise
et mourir. Plus exactement, elle a décrit avec précision ce qui s’était passé,
alors qu’elle dit avoir fermé les yeux. Ensuite, la première manifestation de
son mal a concerné une balle de ping-pong – le sport qu’elle pratiquait au
lycée. Maintenant, c’est le corps de son amant qu’elle ne voit plus. Celui-ci,
Hisano, a accepté à contrecœur d’accompagner la mère d’Inéko jusqu’à l’hôpital
psychiatrique où la jeune fille sera soignée. Mais Hisano prétend que sa
présence aurait, mieux que les médecins, contribué à guérir Inéko.
Une longue conversation
entre la mère et Hisano, du retour de l’hôpital jusqu’à la nuit, constitue
l’essentiel du roman. Kawabata oppose de biais ses deux personnages. Ils ne
s’affrontent pas vraiment, bien que leurs désaccords soient profonds. Leurs
paroles répondent au tintement de la cloche qu’Inéko a peut-être fait sonner
elle-même à trois heures. Elles s’insinuent entre deux visions de la même personne
pour approcher du moment où ces visions se confondront en une seule.
On peut en tout cas imaginer que le romancier
conduisait le dialogue dans ce sens en même temps qu’il y ajoutait une tension
sexuelle croissante. Mais on ne peut que l’imaginer, puisque Kawabata n’a pas
écrit la fin d’un roman dont on ignore même la dimension qu’il aurait prise. Il
n’empêche qu’il y a mis tout son talent.
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