Créés cette année, les Prix Littérature-monde couronnent un ouvrage traduit et un autre en français. Côté traduction, le Canadien Joseph Boyden sera donc le premier lauréat, pour Dans le grand cercle du monde.
Quand Joseph Boyden aborde la question des caresses dans son
dernier roman, Dans le grand cercle du
monde, il convient d’être prudent : les Hurons et les Iroquois, en
guerre sur le territoire d’un Canada convoité, au 17e siècle, par
plusieurs nations européennes, utilisent en effet d’abondance les caresses. Qui
sont des tortures dont la description met parfois le cœur au bord des lèvres.
Bien sûr, ceux qui les pratiquent sont des Sauvages, comme les appelle
Christophe, le Corbeau, c’est-à-dire le père jésuite envoyé auprès d’eux pour
évangéliser, civiliser et participer à la conquête en pliant ces populations au
moule français. Dans ce jeu d’influences, il y a des tribus amies – les Hurons
– et d’autres ennemies – les Iroquois. Laissons à Dieu le soin de s’y
retrouver…
Trois narrateurs racontent la même histoire, située entre
deux grandes batailles. Christophe est le premier, entraîné bien malgré lui
dans une fuite en compagnie des Hurons pourchassés par leurs ennemis. Le chef
des Hurons, Oiseau, deuxième narrateur, a enlevé aux Iroquois une jeune femme,
Chutes-de-Neige, dernière narratrice, dont il compte faire sa fille, pour
remplacer sa femme qui a été tuée.
Le jésuite n’oublie jamais sa mission d’évangéliste. Il
passe l’essentiel de son temps à essayer de convaincre les Indiens de renoncer
à leurs croyances pour leur imposer la sienne. Plein de bonne volonté, il
progresse dans sa connaissance de la langue, finit par comprendre à peu près ce
qui se dit et même, dans ses bons moments, par entrevoir une autre conception
du monde. Tout en restant fermement campé sur sa religion catholique, comme il
le montre dans les textes qu’il envoie vers la France pour convaincre les donateurs
de l’importance de sa mission.
Oiseau ne sait que faire du Corbeau. Il n’a pas tous les
pouvoirs sur son clan. Bien qu’il soit un guerrier respecté, le conseil des
anciens lui suggère parfois d’infléchir ses positions. Et tuer ou faire tuer le
jésuite, comme il en a l’intention, ne semble pas une si bonne idée. Car les
Français, que représente Christophe, peuvent aider les Hurons à combattre, en
leur fournissant des fusils, ainsi qu’à s’enrichir par le commerce. Le jésuite
représente cependant, pour Oiseau, un double danger : les épidémies, elles
sont plus meurtrières encore que les combats, peuvent lui être attribuées et,
surtout, il ne supporte pas son rapprochement avec Chutes-de-Neige. Celle-ci,
issue d’un clan ennemi, réussit non sans mal à intégrer sa tribu d’adoption,
après des épisodes de violente révolte.
Comment ces trois personnages, avec ceux qui les
entourent, se situent les uns par rapport aux autres et à la nature, c’est ce
que Joseph Boyden montre, sans rien démontrer, avec un souffle impressionnant.
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