dimanche 1 juin 2014

Dan Brown se perd dans les symboles

Romanesque, forcément romanesque… Le romancier américain est capable d’aller chercher très loin les ressorts des rebondissements de thrillers ésotériques dans lesquels tout semble possible. Même et surtout l’invraisemblable.
Les romans de Dan Brown sont de ceux dont on aime dire du mal : c’est écrit n’importe comment, voilà l’argument massue avec lequel se trouve assommé le lecteur qui aime ça. Vous, peut-être. Nous, un peu, du moins au début d’Inferno.
Robert Langdon, professeur de symbologie (oui, oui…) fait pour la quatrième fois son Indiana Jones. Mais il est dans la panade. Il se retrouve dans un lit d’hôpital avec pour dernier souvenir celui de l’université du Massachussetts où il enseigne. En réalité, il est à Florence, deux jours plus tard, avec à la tête une blessure par balle qui le fait atrocement souffrir. Il est en proie à une hallucination récurrente dont le prologue, tout en rythme, nous a fourni les principales images : un homme est poursuivi, avec la ville de Florence en toile de fond, beau décor chargé d’œuvres artistiques évoquées au passage, et le mystère s’installe à propos d’un objet inconnu et important pour l’humanité – rien que ça, mais Dan Brown ne fait pas les choses à moitié. Comme dans les paroles prononcées, définitives :
« Mon don est le futur. / Mon don est le salut. / Mon don est l’Enfer. »
Le comble, c’est qu’on marche, qu’on court, et qu’on est déjà au premier chapitre, dans les souvenirs parcellaires de Robert Langdon. Très parcellaires. Où suis-je ? Qu’est-il arrivé ? C’est à peu près tout ce qu’il peut dire pour démêler les causes de l’état dans lequel il se trouve, hanté par l’image d’une femme voilée et tout surpris de reconnaître, par la fenêtre, une architecture médiévale qu’il connaît bien et dont il sait qu’elle ne trouve pas dans le Massachussetts mais à Florence. Où, dans sa chambre d’hôpital, deux médecins s’occupent de lui tandis que glisse, à l’extérieur, la silhouette d’une femme baraquée et habillée de noir. On devine qu’elle ne veut pas que du bien à Richard Langdon – après tout, quelqu’un lui a tiré dessus – et elle le prouve en abattant le Dr Marconi tandis que le Dr Brooks, une femme plus jeune, prouve son sang-froid en réussissant à s’enfuir avec un Langdon bourré de sédatifs…
De l’action, de l’action !
On ne sait toujours pas pourquoi, bien entendu. Mais le troisième chapitre a fourni un intéressant élément d’information : à 5 miles de la côte italienne se trouve un yacht luxueux aménagé comme un QG militaire, le Mendacium, d’où le chef du Consortium dirige ses opérations discrètes dans le monde entier, au service de qui peut se payer des équipes d’une redoutable efficacité pour tous les usages, sans jugement moral. Ce qui sous-entend que les opérations sont souvent immorales. Celle-ci, dans laquelle Langdon est impliqué à son insu, semble d’une importance capitale. Et susceptible d’échouer, ce que déteste le boss du Consortium. Il a construit sa réputation sur deux règles d’or : ne jamais faire une promesse que vous ne pouvez pas tenir et ne jamais mentir à un client…
Avant la fin du seizième chapitre, il y aura encore pas mal d’action. Le Dr Brooks est désormais appelée par son prénom, Sienna. Elle est dotée d’une intelligence exceptionnelle – un quotient intellectuel de 208, dont Richard Langdon ne savait pas que cela existait (nous non plus). Et Langdon n’est pas insensible au charme qu’elle dégage, ce qui laisse d’autant mieux augurer d’un rapprochement plus intime que Sienna, elle aussi… enfin, vous voyez, les choses se mettent en place assez vite.
Le mystère de l’intrigue, en revanche, ne se dévoile que très progressivement. Le mystérieux objet est retrouvé dans une poche secrète de la poche de Langton, qui en ignorait l’existence : un tube de titane qui s’ouvre sous la pression d’un doigt. Pas n’importe quel doigt, l’ouverture est programmée en fonction des empreintes. Celles de Langdon, comme par hasard.
Et nous voici plongés dans l’univers de Dante, de son Enfer et des peintres qui s’en sont inspirés, avec des allusions à la Grande Peste du Moyen Age et à la Renaissance qui suivit. Le message se complète : pour renaître, il faut mourir ; pour trouver le Paradis, il faut passer par l’Enfer…
C’est loin d’être fini. Mais le dix-huitième chapitre, malheureusement, est un tunnel explicatif comme Dan Brown a le défaut d’en placer parfois dans ses romans, parce qu’il faut bien aider ce benêt de lecteur à comprendre de quoi il retourne : ici, une conférence que Robert Langdon a faite deux ans plus tôt à Vienne sur L’Enfer de Dante. Cette conférence, certes, livrera quelques-unes de clés de l’énigme. Ou plutôt du jeu de piste, car le roman est construit sur une série d’indices qu’il faut décoder… avant de se rendre compte, le plus souvent, qu’ils ont été faussés à la base.
En même temps que Langdon court, en compagnie de Sienna, dans Florence, puis dans Venise et enfin dans Istanbul pour que l’humanité échappe au mystérieux danger qui la menace, ils sont tous deux poursuivis par une véritable armée selon toute évidence décidée à les abattre.
Mais, puisque tout est construit sur des données partielles, il faudra aussi admettre que les personnages ne jouent pas tous le rôle qui semble le leur. Heureusement, le lecteur peut être certain que son héros préféré (?), Richard Langdon, donc, est bien celui qu’il a déjà rencontré dans les ouvrages précédents, un puits de science, un lecteur de symboles, un claustrophobe (il a souvent l’occasion d’être enfermé dans Inferno) attaché à sa montre Mickey qu’il a pourtant égarée tout au début du roman.
Et si tout ce qui nous est raconté ici ne consistait qu’à lui donner une chance de retrouver sa montre fétiche ? Puisque l’humanité, de toute manière, court vers sa disparition si sa croissance se poursuit au rythme actuel… Quand on arrive à la fin, on se demande en effet pourquoi il fallait déployer autant d’énergie pour une cause perdue d’avance. Le chercheur fou pour qui la peste fut un bienfait, et qui cherche à en reproduire les heureuses conséquences en limitant le nombre d’habitants de la planète, n’avait peut-être pas tort…
On s’étrangle.
A force de manipuler les symboles, Dan Brown donne l’impression de s’être pris les pieds dans le tapis. Son thriller est pourtant un honnête divertissement, jusqu’au moment où il tombe dans une idéologie inquiétante, ce « transhumanisme » qui déboucherait sur un monde meilleur. Des mondes meilleurs, certains ont déjà essayé de nous en fourguer quelques-uns, à prix d’ami – on a vu ce que cela a donné…

1 commentaire:

  1. Le Da Vinci Code m'avait déjà bien fait rire : alors pourquoi pas Inferno, s'il me tombe sous la main...

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