La frontière entre vie privée et vie publique est toujours
difficile à définir pour les dirigeants politiques. On a beau s’armer de
principes, ceux-ci sont ébranlés par les faits. Ainsi, Philippe Launay, favori
d’une élection présidentielle française dans le nouveau roman de Marc Dugain,
voit son statut affaibli par la haine que lui voue son épouse depuis qu’une de
leurs filles s’est suicidée. Par sa faute, prétend-elle : « Philippe, je ne te laisserai pas
devenir président. Tu ne le mérites pas. Encore moins que les autres. »
Sous le titre, L’emprise,
se cachent d’autres nœuds contraignants pour la politique. Dans une narration
éclatée entre les points de vue de nombreux personnages, Marc Dugain a écrit un
thriller économico-politique où d’autres frontières sont mises à mal. En
particulier celle qui sépare, ou devrait séparer, l’intérêt général de
l’intérêt particulier. Si Launay n’a pas grand-chose à craindre de ce côté, son
principal rival à l’intérieur de son parti appartient à une nébuleuse
financière trouble. Une importante société regroupant l’électrique et le
nucléaire pèse sur le climat du pays. A tel point que les services de
renseignements s’intéressent de près à un syndicaliste soupçonné, ou qu’on veut
soupçonner, d’espionnage en faveur de l’étranger. Pendant ce temps, un
sous-marin a capté le bruit d’un choc survenu en surface, lié peut-être à un
bateau transportant du combustible nucléaire, matière et sujet dont le
caractère sensible suffit à faire préférer une autre hypothèse.
Où se trouve le centre du pouvoir ? A la tête de
l’Etat ? Dans les bureaux des grands groupes ? Au sein des services
secrets ? Le jeu est complexe, Philippe Launay arpente depuis assez
longtemps l’antichambre du pouvoir pour ne pas l’ignorer. Il sait en tout cas
que sa marge de manœuvre est réduite et navigue au plus près en guettant les
écueils placés sur sa route.
A un poste moins prestigieux que celui promis au candidat,
un autre personnage essentiel du roman (mais ils sont nombreux à jouer un rôle
important) suit aussi un chemin plein d’embûches. Lorraine, agent de la DCRI,
la Direction centrale du Renseignement intérieur, a une manière bien
personnelle de flirter avec les risques. Elle se rapproche dangereusement d’une
photographe chinoise, puis d’un sous-marinier, alors qu’elle devrait se
contenter de les surveiller pour en tirer les renseignements que ses supérieurs
l’ont chargée de chercher. Les libertés qu’elle prend avec ses missions sont
aussi la liberté qu’elle se donne quand elle n’est pas avec son fils, plongé
dans son monde et coupé du reste.
L’emprise
est un roman touffu,
bourré de connexions entre différents pans de la société qui agissent, parfois
ensemble, souvent les uns contre les autres, dans une ombre relative. Il
travaille pourtant moins à éclaircir des mystères qu’à les nourrir. C’est
pourquoi il fascine autant.
Et un deuxième volume de ce qui est maintenant annoncé comme La trilogie de l'emprise, Quinquennat, vient de paraître, pour les lecteurs qui n'auront pas la patience d'en attendre la réédition au format de poche.
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