Un poète, le premier à recevoir le Prix Nobel de littérature depuis Wislawa Szymborska, quatorze ans plus tôt. Et un Suédois, ce qui n’était pas
arrivé depuis le partage de 1974 entre Eyvind Johnson et Harry Martinson. Tomas
Tranströmer, né en 1931 à Stockholm, et dont on vient d'apprendre la mort, fut donc le lauréat 2011 du prix Nobel de
littérature car, selon les termes du communiqué officiel, « par des images denses, limpides, il
nous donne un nouvel accès au réel. »
Son œuvre, traduite dans
le monde entier, est une de celles qui inspirent les autres poètes. Joseph
Brodsky, autre lauréat du Nobel, a reconnu avoir « volé
plus d’une métaphore » à Tomas Tranströmer. Les lecteurs francophones,
ce n’est pas toujours le cas, ont accès à ses ouvrages, grâce à Jacques Outin
qui l’a traduit et fait connaître. D’abord par une anthologie puis par des
œuvres complètes. Les deux livres, publiés en 1989 au Castor Astral et en 2004 dans
la collection de poche Poésie/Gallimard, portent le même titre : Baltiques.
Dans un recueil de proses
poétiques à forte connotation autobiographique, Les souvenirs m’observent (Castor Astral, 2004), Tranströmer aide à
comprendre sa démarche : « Ma
vie. Quand je pense à ces mots, je vois
devant moi un rayon de lumière. Et, à y regarder de plus près, je remarque que
cette lumière a la forme d’une comète et que celle-ci est pourvue d’une tête et
d’une queue. Son extrémité la plus lumineuse, celle de la tête, est celle de l’enfance
et des années de formation. Le noyau, donc sa partie la plus concentrée,
correspond à la prime enfance, où sont définies les caractéristiques les plus
marquantes de l’existence. J’essaie de me souvenir, j’essaie d’aller jusque-là.
Mais il est difficile de se déplacer dans cette zone compacte : cela
semble même périlleux et me donne l’impression d’approcher de la mort. Plus
loin, à l’arrière, la comète se dissout dans sa partie la plus longue. Elle se
dissémine, sans toutefois cesser de s’élargir. Je suis maintenant très loin
dans la queue de la comète : j’ai soixante ans au moment où j’écris ces
lignes. »
Deux faits, bien qu’ils
ne soient pas essentiels : il a été psychologue jusqu’en 1990, quand il fut
victime d’une attaque cérébrale. Depuis, il était hémiplégique. Et une confidence
de son traducteur : son goût pour la littérature ne lui est venu qu’à
l’âge de seize ans, en même temps qu’il commençait à s’intéresser à d’autres
arts. La musique, notamment, très présente dans son œuvre. Auparavant, les
sciences naturelles, l’histoire et la géographie avaient suscité son intérêt.
Si bien que, transposant ses passions d’adolescents dans sa poésie d’adulte,
Tranströmer en est venu à utiliser les mots au plus près du concret, proche
parfois des haïkus dont il a adopté la forme dans La grande énigme (Castor Astral, 2004).
On trouve dans Baltique, sous des aspects différents,
des vers aussi forgés de matière et de rêve que le sont ceux du haïku : « Je suis sur la montagne et contemple
la baie. / Les bateaux reposent à la surface de l’été. » Ou : « A deux heures du matin : clair
de lune. Le train s’est arrêté / au milieu de la plaine. Au loin, les points de
lumière d’une ville / qui scintillent froidement aux confins du regard. »
Il y a quelque chose de glissant et de prégnant
dans la poésie de Tomas Tranströmer. Les images défilent et se fixent, les
lieux s’imposent, habités à la fois par l’homme et par une voix puissante.
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