La bataille aux portes de Monastir
Monastir par Salonique,
30 novembre.
Nos batteries, toutes ensemble, font traîner leurs longs
gémissements ininterrompus, piquent d’éclairs les environs, crachent et
recrachent. Coupés à chaque instant par nos coups, les sifflements bulgares ne
peuvent pas être suivis tout du long ; on en perd le son, puis on le
reprend, puis, avant d’entendre la détonation que l’air ne nous apporte que
quelques secondes plus tard, on voit la fumée sourdre de terre.
Cerna et ses marécages luisent au premier plan, la route de
Prilep brisée à 5 kilomètres de la ville par une première petite gorge
réapparaît et se poursuit jusqu’à la limite de l’œil. Les sommets des crêtes
entourant la ville sautent sous la mitraille. Les observateurs, les bras en
avant pour se donner de l’élan, puis, le dos voûté, surgissent et se
précipitent dans les abris. Les fantassins creusent des tranchées.
Le temps est clair, le soleil gai ; les maisons sont à
nos pieds et toute la vallée, que l’armée mit deux mois à conquérir, est sous
nos regards. Le succès aide l’effort. Un autre bruit s’entend, celui du canon
et si fort qu’il faut quelques instants pour s’assurer du nouveau qui vient de
frapper. C’est un roulement de fusillade ; il roule cinq minutes ou dix.
Le temps n’a plus de vapeurs et, tout d’un coup, vos yeux s’ouvrent
d’étonnement : sur une largeur de plus de quatre cents mètres, des
centaines d’hommes, arrivant du versant opposé, poussent sur la crête. Debout,
courant en vague délirante d’assaut, ils descendent sur les Bulgares. Le tir
ennemi, comme s’il s’était tenu prêt pour cet instant, et il s’était tenu prêt,
en moins d’une minute multiplié. Les êtres vivants qui boisent la crête
avancent quand même. Comment vous nommez-vous, vous tous qui agissez comme des
héros de gravures héroïques ?
Ce que vous faites, c’est plus vrai que les images que l’on
soumet à l’admiration du peuple. Vous êtes le dessin populaire, qui, baïonnette
en avant, feu dessus et feu dessous, s’avance sur les fusils ennemis.
Une seconde vague sur la même largeur, sous les mêmes yeux,
encore tout ouverts, surgit.
Enfin, comment donc vous nommez-vous ? Ils descendent.
En face d’eux, en contre-bas, à leur tour, les Bulgares se
dressent hors de leurs tranchées, tout droits ; ils vont recevoir
l’attaquent. C’est beau ! Ils viennent de reculer de soixante-dix
kilomètres, de perdre une ville sainte, et, debout, ils nous répondent.
Dès que les premiers soldats étaient apparus sur la crête,
la fusillade avait cessé de rouler. Elle ne reprend pas. Dans la furie, des
obus seulement qui ne s’éparpillent plus dans un tir fou, mais frappent sur la
crête aux hommes. Les hommes s’entre-choquent.
Pourquoi vous battez-vous si bien ? Avez-vous
l’intention de reprendre Monastir ?
— Ah, non ! font les désintéressés prisonniers
bulgares, mais c’est l’ordre.
Le Petit Journal, 6 décembre 1916.
La Bibliothèque malgache publie une collection numérique, Bibliothèque 1914-1918, dans laquelle Albert Londres aura sa place, le moment venu.
Isabelle Rimbaud y a déjà la sienne, avec Dans les remous de la bataille, le récit des deux premiers mois de la guerre.
Et Georges Ohnet, avec son Journal d'un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914, dont le dix-septième et dernier volume est paru, en même temps que l'intégrale de cette volumineuse chronique - 2176 pages dans l'édition papier.
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