William Boyd est le dernier écrivain britannique en date à avoir remis
le costume de Ian Fleming pour prolonger l’existence de James Bond. C’était Solo, en 2014. Il n’a pas pour autant abandonné son œuvre
personnelle, poursuivie dès l’année suivante avec Les vies multiples d’Amory Clay, de retour en librairie au format de poche.
Dans la cour de l’immeuble où Amory Clay habite à New York,
il y a un arbre. Pas n’importe quel arbre : un ailante, qu’on appelle
aussi arbre du paradis. Cleve, son amant du moment, se demande comment elle
sait ça : « j’aime connaître
l’appellation exacte des choses. Je ne veux pas d’un bête “arbre” anonyme dans
ma cour. Je veux savoir comment il s’appelle. »
Amory peut être comprise à travers ce trait de caractère. Il
lui vient peut-être de l’erreur commise par son père dans la rédaction de
l’annonce de sa naissance pour le Times :
le 7 mars 1908, un « fils » prénommé Amory est né. Mais elle ne le
découvrira que beaucoup plus tard, après que son père a essayé de l’emporter
avec lui dans la mort, après d’ailleurs qu’il s’est éteint, vie soufflée comme
la flamme d’une bougie arrivée à la fin de la combustion.
Beverley Vernon Clay, le père en question, est un cas
intéressant : écrivain qui a connu quelques succès, surtout celui de
l’adaptation au théâtre d’un de ses contes fantastiques, il est, pour le dire
vite, devenu fou après la Grande Guerre. En mars 1918, la moitié des hommes du
commando à la tête duquel il se trouvait ont été portés disparus. Lui-même
manquait à l’appel, il a été retrouvé et n’a jamais pu expliquer ce qui s’était
passé.
C’est la première guerre d’Amory, dont elle ne connaît que
les conséquences, énormes pour elle. D’autant que l’esprit égaré de son père la
pousse à se rapprocher de son oncle Greville, photographe qui lui transmet le
goût des images. Mais pas celui des portraits posés pour une clientèle huppée
recrutée dans les soirées mondaines de la bonne société britannique. Amory
préfère saisir l’instant du mouvement, comme en témoignent les illustrations
qui parsèment le livre.
William Boyd, ce n’est pas la première fois, a documenté
avec précision une vie imaginaire dans Les
vies multiples d’Amory Clay. Il insiste sur l’effet de réel fourni, outre
le cadre historique dans lequel s’inscrivent la vie et la carrière de son
héroïne, par les photographies supposées ponctuer quelques moments
authentiques. La qualité parfois médiocre des clichés aide même à y croire…
Amory est une femme dans un monde d’hommes. Cela peut
l’aider dans son ascension sociale, elle n’ignore pas la place occupée par
Cleve, son amant américain, directeur d’un magazine, dans les propositions de
travail qu’elle reçoit. Pour le reste, elle doit s’imposer sur le front de conflits
où peu de femmes photographes sont envoyées. Elle gagnera dans la douleur ses
lettres de noblesse de correspondante casse-cou lors d’une manifestation
londonienne du parti nazi, et elle mettra du temps à se remettre des coups
reçus ce jour-là.
Ce qui ne l’empêchera pas de « couvrir » la
Seconde Guerre mondiale, puis de partir au Vietnam où elle retrouvera la peur,
si bien qu’elle finira par y photographier la vie qui continue malgré la
guerre.
Amory est sans cesse en quête d’elle-même, du meilleur moyen
d’exprimer son sens de l’image. La vie privée, pas toujours simple mais moins
agitée en réalité que son combat pour trouver sa place dans le monde du
journalisme, vient en écho de son travail. Quand elle y repense, en 1977, dans
son « Journal de Barrandale » dont les pages interrompent parfois le
récit biographique, elle reste pleine de doutes : quelles erreurs ai-je
faites ?
Voilà, en tout cas, une belle figure de femme que William
Boyd raconte comme s’il agitait un étendard de la liberté, au-delà des convenances
propres aux époques traversées, au-delà d’un combat féministe qu’Amory ne prend
pas véritablement en compte mais incarne complètement.
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