Le 16 décembre 2013, Henning Mankell, en route vers le sud
de la Suède, a eu un accident de voiture sans gravité. « Je ne sais pas pourquoi, c’est cette date-là […] qui correspond pour moi au début de mon
cancer », écrit-il dans Sable mouvant, qui vient de reparaître au format de poche. En individu
raisonnable, il ajoute : « Il
n’y a aucune logique à cela. » Mais, après coup, quand un torticolis
persistant l’a conduit à consulter une dizaine de jours plus tard et que, le 8
janvier, son « torticolis » s’est révélé être la métastase d’un
cancer, il interprète l’accident comme un avertissement : « Quelque chose s’annonçait. Quelque
chose était en route. »
Au milieu de 2014, il se met alors à la rédaction de ces Fragments de ma vie, sous-titre d’un
ouvrage autobiographique dans lequel on ne trouve guère d’apitoiement sur soi
et où les plus grandes peurs concernent plutôt le futur de l’humanité.
Le temps qui lui est devenu court, il tente en effet d’en
prendre la mesure à travers la durée de vie des déchets nucléaires. La question
traverse tout le livre, prenant soudain, devant sa propre fragilité, une
importance nouvelle : ces poubelles radioactives que l’on enfouit loin
dans le sol, assez loin pour qu’elles soient incapables de nuire à l’humanité,
qui pourrait garantir qu’elles vont traverser sans dommages les cent mille
prochaines années ? Une telle durée est presque inconcevable pour
l’esprit, d’autant qu’elle suppose, écrit Henning Mankell, plusieurs périodes
glaciaires pendant lesquelles l’écorce terrestre, du côté de Stockholm, sera
écrasée sous plus de deux kilomètres de glace…
Sable mouvant est
le livre d’un homme qui fournit des images de son passé, de son enfance en
particulier, mais qui ne s’avoue pas vaincu : Mankell y parle au moins
autant d’un avenir qu’il sait ne pas être le sien, ni celui de ses lecteurs. Un
ultime combat, mené « dans l’attente
de nouveaux moments de grâce. Nul ne peut me voler la joie de créer moi-même ou
de prendre part à ce que d’autres ont créé. »
Le 5 octobre 2015, moins de deux ans après cet
avertissement, Henning Mankell mourait. Il avait 67 ans et avait publié une
quarantaine de romans qui se sont vendus dans le monde à plus de quarante
millions d’exemplaires.
Henning Mankell est devenu célèbre par les romans policiers où Kurt Wallander, son héros récurrent, remue autant ses propres démons que les éléments d’enquêtes à travers lesquelles il explore la fange d’une société suédoise pas aussi idéale qu’elle le voudrait. De Meurtriers sans visage à L’homme inquiet, une dizaine de romans avec quelques annexes, Kurt Wallander promène le regard humain d’un « policier de province un peu ballot », ainsi qu’il se définit lui-même, sur les défauts de ses semblables qui parfois, souvent, les renvoient aux siens. Il se pose beaucoup de questions. Il vieillit : il a 43 ans dans sa première enquête, presque 60 dans la dernière où il commence à perdre la tête. Il s’était si souvent égaré dans les affaires qu’il traitait qu’on aurait pu trouver presque anecdotiques ses ennuis de santé. Sinon que Wallander disparaît « dans une obscurité qui l’expédierait quelques années plus tard dans l’univers vide qui a pour nom Alzheimer. »
Henning Mankell est devenu célèbre par les romans policiers où Kurt Wallander, son héros récurrent, remue autant ses propres démons que les éléments d’enquêtes à travers lesquelles il explore la fange d’une société suédoise pas aussi idéale qu’elle le voudrait. De Meurtriers sans visage à L’homme inquiet, une dizaine de romans avec quelques annexes, Kurt Wallander promène le regard humain d’un « policier de province un peu ballot », ainsi qu’il se définit lui-même, sur les défauts de ses semblables qui parfois, souvent, les renvoient aux siens. Il se pose beaucoup de questions. Il vieillit : il a 43 ans dans sa première enquête, presque 60 dans la dernière où il commence à perdre la tête. Il s’était si souvent égaré dans les affaires qu’il traitait qu’on aurait pu trouver presque anecdotiques ses ennuis de santé. Sinon que Wallander disparaît « dans une obscurité qui l’expédierait quelques années plus tard dans l’univers vide qui a pour nom Alzheimer. »
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