Le dernier roman de Sylvie Le Bihan, réédité en poche, est
constitué de couches superposées dont chacune est destinée à masquer un peu
mieux ce que désigne le titre : Qu’il emporte mon secret, où le mot important est bien sûr « secret »,
mais où ce qui précède sert déjà à le placer au second plan. Cacher pour mieux
montrer, creuser lentement pour faire émerger avec prudence une vérité qu’il
aurait probablement mieux valu laisser enfouie.
Dans un livre qui ne manque pas de moments forts, il en est
un qui exerce son pouvoir plus longtemps que les autres, parce qu’il est
utilisé comme clef discrète dont on ne sait pas encore, au moment où on l’a
sous les yeux, quelle serrure elle ouvre – mais c’est la serrure de l’abîme le
plus sombre.
Voici la scène en quelques mots. Dans la chambre d’hôpital
où se trouve Hélène, en juillet 1984, après un viol et un accident, chaque
événement lié à l’autre ou non, un jeune gendarme lui rend visite. Ce qu’il lui
dit, explique-t-il, est à l’opposé de ce qu’il devrait lui conseiller :
qu’elle ne porte pas plainte, pour éviter le risque de revoir, avec une
fragilité nouvelle, son violeur dans un procès, qu’elle aille de l’avant en ne
pensant qu’à sa guérison. « Tu vas te
battre pour toi et tu t’en sortiras, un jour ils seront punis, je t’en fais le
serment. »
Hélène acquiesce, elle choisit ce « chemin parallèle » de l’oubli. Voilà pourquoi,
dirait-on volontiers à ses parents, votre fille est muette. Sinon qu’en réalité
la blessure ne s’est jamais tout à fait refermée. La rencontre de Joël Dormois,
dans une prison où Hélène anime un atelier d’écriture – elle est devenue
romancière –, 31 ans après le viol subi à seize ans, la transforme en témoin
lors du procès en appel de cet homme. Peut-être le rôle qu’il a joué dans les
événements va-t-il s’éclaircir.
Et peut-être aussi Hélène va-t-elle utiliser son outil de
prédilection, l’écriture, pour creuser l’astre noir de toute sa vie, le point
qui lui donne à la fois force et faiblesse. Le hasard faisant bien les choses,
elle vient de séduire, davantage qu’elle n’a été séduite par lui, Léo, un
écrivain plus jeune qu’elle, à l’occasion d’un salon du livre. Coup d’un soir
ou début d’une relation plus longue ? Elle commence à lui écrire une très
longue lettre, dont le texte occupe une belle partie du roman, ce qui donne à
penser qu’elle entend prolonger leur histoire. Mais, dans cette lettre, et avec
l’intention de ne plus revoir Léo, elle finit par se décharger de son secret,
comme on le fait auprès d’un inconnu, et qui le restera. L’ambiguïté est
totale, on ne sait pas mieux qu’Hélène ce qu’elle veut vraiment, sinon revenir
au titre : Qu’il emporte mon secret.
Toute la difficulté de dire ou de ne pas dire, de se souvenir ou non, est contenue dans les détours de la narratrice qui mène avec habileté une valse-hésitation à coups d’avancées et de reculs. Elle est, c’est le moins qu’on puisse en dire, habitée par le doute. Le lecteur, pour sa part, est habité par ce roman douloureux et envoûtant. Chargé aussi de son contenu qu’il portera désormais en compagnie de la romancière.
Toute la difficulté de dire ou de ne pas dire, de se souvenir ou non, est contenue dans les détours de la narratrice qui mène avec habileté une valse-hésitation à coups d’avancées et de reculs. Elle est, c’est le moins qu’on puisse en dire, habitée par le doute. Le lecteur, pour sa part, est habité par ce roman douloureux et envoûtant. Chargé aussi de son contenu qu’il portera désormais en compagnie de la romancière.
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