La politesse des uns engendre tout naturellement celle des
autres et la ponctualité d’Amélie Nothomb vaut bien le respect du lecteur qui
s’accorde, sans trop de mal, à son rythme annuel. Le cru 2017, aujourd'hui relayé par la réédition au Livre de poche, est fourni sous
un titre énigmatique : Frappe-toi le cœur. Enigmatique car incomplet, et il le restera, à moins d’avoir en tête
l’œuvre complète de Musset, jusqu’à la page 93 : « Frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie. » Diane,
personnage central du roman, la cite à Olivia Aubusson, maître de conférences
dont elle suit les conférences avec passion. Diane est en septième année de
médecine et a choisi la cardiologie, avec ce que cela comporte de science mais
aussi de portée symbolique. La preuve par Musset, donc, qui a assez
impressionné Diane pour orienter le cours de ses études.
Quand la citation arrive, on a déjà lu la moitié du roman.
Marie, la mère de Diane, n’est plus une inconnue. Difficile, cependant,
d’affirmer qu’elle a suscité la moindre émotion. Et pour cause : ni la
grossesse ni l’accouchement de son premier enfant ne semblent la concerner. Ce qui
se passe dans son corps reste extérieur à sa compréhension, à sa sensibilité, à
son cœur pourrait-on dire. La tendresse que Marie ne donne pas à sa fille,
Olivier, le père, n’en est pas avare. Diane est pour lui une pure merveille
mais son émerveillement irrite Marie pour qui l’affection de son mari est
désormais tout entière reportée vers leur fille…
Celle-ci, à deux ans, a déjà tout compris : « Je savais », répond-elle à
ses grands-parents quand ils lui expliquent la froideur de sa mère. La
précocité, si surprenante soit-elle, n’est pas un problème pour Amélie Nothomb.
La cohérence psychologique d’un personnage est parfois plaquée sur son parcours
sans grand souci de vraisemblance. Mais qu’importe, pourvu qu’il y ait du
relief dans le tableau. Et celui-ci n’en manque pas. Car Diane ne se contentera
pas de sa clairvoyance à deux ans ou de citer Musset plus tard : elle
réfléchit, elle analyse, elle se fixe un objectif, être Reine comme sa mère
telle qu’elle la voit. L’objectif est susceptible d’être modifié en
chemin : à 11 ans, Diane ne voudra plus qu’être adulte « pour accéder au statut sublime de
docteur. » Le but est plus durable, cette fois, comme on l’a vu.
L’aspect brillant des reliefs pâlit cependant devant les
efforts trop visibles faits pour les mettre en valeur. Comme s’il fallait
absolument passer beaucoup de temps à creuser dans les profondeurs obscures de
l’esprit pour augmenter les différences de niveau. Les tempêtes qui surgissent
dans le joli crâne de Diane deviennent, à force d’explications, d’illisibles
réseaux de courbes de pression, de relevés de température, de vitesses du vent.
Si Diane a besoin de ce fonctionnement avec tous ces détails, le lecteur n’en
éprouve pas toujours la même nécessité.
Au fond, on est, malgré le rebondissement qui survient à la fin du livre, moins frappé au cœur qu’au cerveau. Ce qui était peut-être, après tout, le projet romanesque d’Amélie Nothomb, histoire de surprendre une fois encore son large public.
Au fond, on est, malgré le rebondissement qui survient à la fin du livre, moins frappé au cœur qu’au cerveau. Ce qui était peut-être, après tout, le projet romanesque d’Amélie Nothomb, histoire de surprendre une fois encore son large public.
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