Le cinquième roman de Monica Sabolo, Summer, est une réussite. Summer a disparu quand elle avait
dix-neuf ans, son frère Benjamin s’interroge encore, 24 ans après, sur son
destin. La quête le conduit, par la psychanalyse, à l’intérieur de lui-même où
il découvre des choses qu’il aurait, préféré ne pas savoir. Et aussi, avec la
trame lâche d’un roman policier sans cadavre, à résoudre l’énigme de manière
surprenante. Tout séduit dans un livre qui superpose, avec une grâce d’écriture
de chaque instant, les images du passé et les questions du présent – les
certitudes du temps où Summer était là et les doutes qui, depuis, se sont
installés en rongeant le personnage principal.
Au début du roman, la
présence du lac Léman, les visions qu’a Benjamin de Summer immobile sous la
surface et la citation d’« Ophélie » de Rimbaud en exergue, tout cela
évoque des images un peu trompeuses…
Oui, parce que ce
n’est pas vraiment le personnage principal.
Vous jouez beaucoup à
tromper le lecteur.
Au final, en effet, on
dirait que je suis rouée. Mais je ne l’ai pas fait exprès. En fait, l’histoire
s’est construite en même temps que je l’écrivais. Au point de départ, j’avais
très envie d’écrire sur le lac, sur l’eau. Et aussi sur la disparition :
comment vit-on avec les êtres qu’on aimait et qui ne sont pas morts, mais
auxquels on n’a plus accès ?
La disparition de
Summer est-elle une sorte d’évaporation, quand tout file entre les
doigts ?
Tout est liquide,
comme les personnages sous l’eau. Il y a quelque chose d’un mouvement qui
berce, de paroles qui ne sont pas forcément entendues ou qui ne sont même pas
prononcées, une sorte de silence aquatique.
A quel point le temps
peut-il être suspendu ? Il l’est après la disparition de Summer, il semble
l’être encore pour Benjamin, vingt-quatre ans après.
Est-ce qu’il est parti
avec elle, est-ce qu’ils vivent dans un monde parallèle, à travers la surface
d’une piscine ? Il s’est arrêté, il s’est évaporé lui aussi.
Il y a une dimension
de fait divers : il arrive que des jeunes filles disparaissent. Y
avez-vous pensé ?
Non, je n’ai pas
vraiment pensé à ça. J’ai quand même toujours été très sensible aux disparitions
sans réponse. Pas forcément les jeunes filles qui se volatilisent dans la
nature mais, par exemple, les femmes de la place de Mai, en Argentine, qui sont
dans cette quête et cette impossibilité de vivre parce qu’elles ne savent pas
ce que sont devenus leurs enfants. Bien sûr qu’ils sont morts, mais il n’y a
pas de corps, il n’y a pas eu de mots. Cela me touche très profondément.
L’absence de corps,
c’est l’impossibilité de faire son deuil ?
Oui, c’est
l’impossibilité de faire son deuil et d’avancer. Comment vivre avec des choses
qui sont suspendues ?
Comme le temps
suspendu, et cela participe à la cohérence d’un livre par ailleurs superbement
écrit. Avez-vous beaucoup travaillé l’écriture ?
Beaucoup. C’était
comme un chant, j’avais envie de travailler la poésie, quelque chose
d’organique, parce que j’ai la sensation que c’est la nature sauvage qui
raccroche au réel. Avec le cycle des saisons, les lumières, les odeurs qui
reviennent, on ne peut pas échapper à ce qui s’est passé. Même si on n’en parle
pas, même s’il y a un secret, même s’il y a des conventions, le monde sauvage
est plus puissant.
Rien ne s’arrête,
comme le dit en substance Benjamin ?
Oui, et c’est
terrible. La famille, au bout d’un moment, continue de vivre comme si de rien
n’était. Son prénom n’a pas été prononcé depuis des années.
Vers la fin du livre,
qu’il faut taire, l’inspecteur Aebischer dit à Benjamin : « Vous
savez ce que j’ai toujours trouvé étonnant avec votre famille ? C’est justement
que personne ne semblait vraiment vouloir savoir où elle était, votre
sœur. »
Parfois, les questions
ne sont pas posées parce qu’on ne veut pas avoir les réponses. C’est d’ailleurs
le courage de Benjamin. Il y va, il pose les questions et c’est une traversée
qui va être difficile.
Benjamin s’est-il
aussi construit au fur et à mesure de l’écriture ?
Sa personnalité était
là à l’origine. J’ai grandi avec lui, je me suis glissé dans son corps à
l’adolescence. Je trouvais plus facile d’aborder un homme à cet âge-là, je ne
me sentais pas capable de le faire avec un homme adulte.
A cause de la réalité
trouée du roman, on pense parfois à Patrick Modiano. Le rapprochement vous
convient-il ?
Ça me touche beaucoup.
J’adore Modiano, je trouve qu’il y a une telle puissance dans les trous de la
mémoire…
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