mardi 8 janvier 2019

Monica Sabolo : «Il y a une sorte de silence aquatique»


Le cinquième roman de Monica Sabolo, Summer, est une réussite. Summer a disparu quand elle avait dix-neuf ans, son frère Benjamin s’interroge encore, 24 ans après, sur son destin. La quête le conduit, par la psychanalyse, à l’intérieur de lui-même où il découvre des choses qu’il aurait, préféré ne pas savoir. Et aussi, avec la trame lâche d’un roman policier sans cadavre, à résoudre l’énigme de manière surprenante. Tout séduit dans un livre qui superpose, avec une grâce d’écriture de chaque instant, les images du passé et les questions du présent – les certitudes du temps où Summer était là et les doutes qui, depuis, se sont installés en rongeant le personnage principal.
Au début du roman, la présence du lac Léman, les visions qu’a Benjamin de Summer immobile sous la surface et la citation d’« Ophélie » de Rimbaud en exergue, tout cela évoque des images un peu trompeuses…
Oui, parce que ce n’est pas vraiment le personnage principal.
Vous jouez beaucoup à tromper le lecteur.
Au final, en effet, on dirait que je suis rouée. Mais je ne l’ai pas fait exprès. En fait, l’histoire s’est construite en même temps que je l’écrivais. Au point de départ, j’avais très envie d’écrire sur le lac, sur l’eau. Et aussi sur la disparition : comment vit-on avec les êtres qu’on aimait et qui ne sont pas morts, mais auxquels on n’a plus accès ?
La disparition de Summer est-elle une sorte d’évaporation, quand tout file entre les doigts ?
Tout est liquide, comme les personnages sous l’eau. Il y a quelque chose d’un mouvement qui berce, de paroles qui ne sont pas forcément entendues ou qui ne sont même pas prononcées, une sorte de silence aquatique.
A quel point le temps peut-il être suspendu ? Il l’est après la disparition de Summer, il semble l’être encore pour Benjamin, vingt-quatre ans après.
Est-ce qu’il est parti avec elle, est-ce qu’ils vivent dans un monde parallèle, à travers la surface d’une piscine ? Il s’est arrêté, il s’est évaporé lui aussi.
Il y a une dimension de fait divers : il arrive que des jeunes filles disparaissent. Y avez-vous pensé ?
Non, je n’ai pas vraiment pensé à ça. J’ai quand même toujours été très sensible aux disparitions sans réponse. Pas forcément les jeunes filles qui se volatilisent dans la nature mais, par exemple, les femmes de la place de Mai, en Argentine, qui sont dans cette quête et cette impossibilité de vivre parce qu’elles ne savent pas ce que sont devenus leurs enfants. Bien sûr qu’ils sont morts, mais il n’y a pas de corps, il n’y a pas eu de mots. Cela me touche très profondément.
L’absence de corps, c’est l’impossibilité de faire son deuil ?
Oui, c’est l’impossibilité de faire son deuil et d’avancer. Comment vivre avec des choses qui sont suspendues ?
Comme le temps suspendu, et cela participe à la cohérence d’un livre par ailleurs superbement écrit. Avez-vous beaucoup travaillé l’écriture ?
Beaucoup. C’était comme un chant, j’avais envie de travailler la poésie, quelque chose d’organique, parce que j’ai la sensation que c’est la nature sauvage qui raccroche au réel. Avec le cycle des saisons, les lumières, les odeurs qui reviennent, on ne peut pas échapper à ce qui s’est passé. Même si on n’en parle pas, même s’il y a un secret, même s’il y a des conventions, le monde sauvage est plus puissant.
Rien ne s’arrête, comme le dit en substance Benjamin ?
Oui, et c’est terrible. La famille, au bout d’un moment, continue de vivre comme si de rien n’était. Son prénom n’a pas été prononcé depuis des années.
Vers la fin du livre, qu’il faut taire, l’inspecteur Aebischer dit à Benjamin : « Vous savez ce que j’ai toujours trouvé étonnant avec votre famille ? C’est justement que personne ne semblait vraiment vouloir savoir où elle était, votre sœur. »
Parfois, les questions ne sont pas posées parce qu’on ne veut pas avoir les réponses. C’est d’ailleurs le courage de Benjamin. Il y va, il pose les questions et c’est une traversée qui va être difficile.
Benjamin s’est-il aussi construit au fur et à mesure de l’écriture ?
Sa personnalité était là à l’origine. J’ai grandi avec lui, je me suis glissé dans son corps à l’adolescence. Je trouvais plus facile d’aborder un homme à cet âge-là, je ne me sentais pas capable de le faire avec un homme adulte.
A cause de la réalité trouée du roman, on pense parfois à Patrick Modiano. Le rapprochement vous convient-il ?
Ça me touche beaucoup. J’adore Modiano, je trouve qu’il y a une telle puissance dans les trous de la mémoire…

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