Le premier roman d’Alexandre Labruffe aurait pu s’intituler :
Le vertige de l’essence. Au lieu de
quoi, et bien que le personnage principal soit imprégné de l’odeur de ce
liquide, c’est sous un titre plus explicite, Chroniques d’une station-service qu’il a reçu, il y a une dizaine
de jours, le tout frais Prix Maison Rouge, dans le jury duquel se trouvent
notamment Philippe Djian et Frédéric Beigbeder – celui-ci a effectué un service
après-vente efficace en disant tout le bien qu’il pensait de ce livre au Masque et la plume ainsi que dans le Figaro magazine. Il n’avait pas tort.
On est immédiatement séduit par le ton d’un ouvrage
construit en fragments et qui néanmoins nous emmène quelque part, dans des
histoires qui s’effilochent certes mais qu’on est tenté de suivre tant elles
sont piquantes. C’est la mystérieuse cliente japonaise – asiatique, au moins –
qui rend sa visite hebdomadaire dans la station-service, et qui serre le cœur du
narrateur (le nôtre aussi, peut-être bien). C’est un trafic tout aussi
mystérieux de livres, déposés pour quelqu’un qui viendra les chercher, dans
lesquels il semble bien y avoir des messages cryptés. C’est un lieu incongru d’exposition
artistique avec vernissage dans les règles du genre. On en passe…
Le narrateur, Beauvoire (s’agissant d’un homme, la
féminisation du nom de « Simone de » doit être un acte poétique),
observe l’humanité en transit dans sa capsule. Il note, tout en regardant de
vieux films avec une attirance particulière pour la production de série B – « horreur,
porn, apocalypse ou zombie » –, des pensées fugitives mais qui s’incrustent
et finissent par définir l’humanité telle qu’il la voit dans les habitudes qu’elle
adopte ici. C’est ainsi qu’il pense à la cocazéroïsation de cette humanité,
ainsi qu’à la mobil-homisation d’une société constituée d’être lobautomisés.
Bien que ne se prenant pas pour un être exceptionnel (à
certains moments, il se trouve même assez nul), il se reconnaît un rôle dans la
marche de la planète. « Sans moi, la mondialisation n’est rien »,
note-t-il en constatant qu’il est « au sommet de la pyramide de la
mobilité ». Forcément, quand il fait le compte du nombre de barils qu’il a
écoulés depuis qu’il travaille à la station-service, ça impressionne.
Sous les apparences du sérieux, c’est vraiment drôle, à
moins que ce soit sérieux sous les apparences de la drôlerie. L’équilibre entre
les deux aspects est solide, on traverse ce livre, pas si immobile qu’on le
penserait au point de départ (et d’arrivée), le sourire aux lèvres et même
parfois en retenant (ou pas, tout dépend de l’endroit où l’on se trouve) un
grand éclat de rire.
Le décor familier prend en
tout cas une signification nouvelle dans ces Chroniques d’une station-service.
Bonjour,
RépondreSupprimerJe me permets juste de signaler une petite coquille, vous avez écrit "Philippe" Beigbeder au lieu de Frédéric.
Merci, je corrige. J'aurais pu faire pire, écrire "Frédéric Djian", par exemple...
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