Avant même la première question, Alexandre Jardin part d’un
éclat de rire et confirme ce qu’il appelle dans Ma mère avait raison sa « carrière
de rieur ». Une manière, peut-être aussi, de désamorcer les réticences
d’un interlocuteur moins gagné par l’enthousiasme qu’irrité par un livre où les
tics de l’écrivain sont trop visibles. Effets de manche appuyés, enthousiasme
forcé, invraisemblances assumées, Jardin continue à foncer Bille en tête, comme quand il publiait son premier roman sous ce
titre.
Le deuxième qu’il avait écrit, découvre-t-on aujourd’hui,
n’est jamais paru. La faute à sa mère, à qui il est reconnaissant d’avoir jeté
son manuscrit au feu. Ce texte ne lui ressemblait pas, avait-elle décidé.
Trente-cinq jours plus tard, Alexandre Jardin donnait Le Zèbre à son éditeur, pour un Prix Femina.
« Elle s’autorise
à vivre dans les grandes largeurs, avec une telle gaieté, avec un tel appétit,
une telle confiance dans la vie… L’asphyxie générale étant ce qu’elle est, il
était pour moi capital d’écrire un livre antidote », explique-t-il
pour justifier d’avoir choisi sa mère après avoir déjà raconté son père (Le Zubial) et son grand-père (Des gens très bien).
L’écrivain ne rejette pas l’étiquette, qu’on lui propose,
d’activiste. Et insiste sur la réussite de son dernier coup : « C’est en train de fonctionner. Je
reçois des kilomètres de messages, presque que de femmes, qui posent le bouquin
et qui y vont ! Elles posent le livre le mardi, elles quittent le mari le
vendredi, elles filent à Lisbonne retrouver un amour de jeunesse le week-end.
Hier, à la fin d’une rencontre dans une librairie bruxelloise, une femme m’a
fait passer un petit mot dans lequel elle disait qu’elle allait écrire une
lettre de vérité à ses proches. Ça m’a enchanté ! »
Le modèle de liberté que propose Alexandre Jardin à travers
le portrait de sa mère est poussé loin. Elle vivait avec ses hommes, ceux-ci
s’en trouvaient si bien qu’ils ont construit ensemble la grande table sur
laquelle ils mangeaient. Une utopie amoureuse comme projet, pourquoi pas ?
Mais l’intention affichée ne peut pas concerner seulement ses lecteurs et
surtout ses lectrices. Il faut bien qu’Alexandre Jardin, thérapeute sauvage,
soit aussi occupé à se guérir aussi de quelque chose. On est curieux : de
quoi ?
« D’un éternel
décalage par rapport à un monde prudent. Je me sens constamment en exil.
Enfant, je ne comprenais pas pourquoi les mamans de mes copains n’aimaient pas
vivre. Les gens prétendaient être les personnages simplifiés qu’ils
présentaient au monde. Je n’ai jamais compris cette prétention… Ne pas vivre,
ça a un coût monstrueux. La prudence est un risque majeur. »
Le goût du risque est une caractéristique qu’Alexandre
Jardin aime mettre en avant. Surtout le risque qu’il prend lui-même à chaque
instant, y compris dans l’écriture puisqu’il revendique l’audace de risquer sa
vie à chaque page. L’autoproclamation est peu convaincante. Il tente
d’expliquer : « Vous ne pouvez
pas publier ce livre et conserver la même vie. Je suis en train de tout
remettre à plat. Vous ne pouvez pas faire imprimer un texte pareil et continuer
à vivre en décalage entre ce que vous avez dans la tête et ce qui se passe.
Beaucoup de choses sont en train de bouger dans ma vie, aussi parce que je me
fais de la littérature cette idée qu’elle invite à la modification de
l’architecture de soi. »
On a pris beaucoup de plaisir à bavarder et à rire avec Alexandre Jardin. Beaucoup moins à lire son livre.
P.-S. Alexandre Jardin a donné, depuis, une tout autre image de lui dans Le roman vrai d'Alexandre. Pas plus convaincante.
On a pris beaucoup de plaisir à bavarder et à rire avec Alexandre Jardin. Beaucoup moins à lire son livre.
P.-S. Alexandre Jardin a donné, depuis, une tout autre image de lui dans Le roman vrai d'Alexandre. Pas plus convaincante.
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