mercredi 29 janvier 2014

La vérité sur Jean Moulin, son arrestation et sa mort

Dan Franck s’avance à visage découvert. Dans deux pages, signées de ses initiales pour bien montrer qu’elles n’appartiennent pas au roman, il expose la thèse qui sous-tend Les champs de bataille : l’arrestation et la mort Jean Moulin sont la conséquence de calculs politiques. Si l’instruction du procès de René Hardy, deux fois jugé pour ces faits et deux fois acquitté, avait été menée jusqu’au bout, « elle aurait certainement fait apparaître une réalité historique et politique passée sous silence lors des audiences précédentes : ceux qui contribuèrent à l’arrestation de Jean Moulin, connu avant la guerre pour son engagement à gauche, étaient liés à l’extrême droite. Cette vérité renforce une conviction qui nous est commune, au juge et à moi-même : la droite et la gauche dessinent des horizons incomparables. »
Il aurait pu expliquer cela en fin de volume. Il le fait en préliminaire, jetant sur la table une partie de son jeu. De la sorte, il tient la bride courte à son lecteur. Pas question pour celui-ci de s’égarer. La confrontation se fait entre deux hommes dont l’un, René Hardy, est de droite. De droite extrême, d’ailleurs, ce dont il ne se cache pas. L’autre, un juge à la retraite, porteur de la voix et des convictions de Dan Franck, se situe à l’opposé. Il s’agit de « juger moins un homme qu’une idéologie. »
A situation simple, ouvrage simpliste ? Dan Franck est plus fin que cela, et trop romancier pour laisser à sa seule thèse de départ tout le poids du récit. Le rythme est donné par huit face à face, autant de phases d’une instruction au cours de laquelle la vérité doit être dévoilée. Le juge a davantage que des soupçons, il est nourri de certitudes longtemps mûries au fil d’une enquête solitaire, de dossiers épluchés jusqu’à l’os, d’interrogatoires, de lectures. Avec un point de départ qui lui fournit une raison personnelle de s’intéresser à Jean Moulin, d’être accompagné par l’ombre du voisin de cellule du résistant.
Jean Moulin, préfet nommé par le Front populaire, hante le juge qui ne décolère pas devant la récupération que fit de Gaulle de l’icône lors du transfert de ses cendres au Panthéon – avec le célèbre discours de Malraux. C’était en 1964, quatre ans avant une poussée de fièvre joyeuse, certes bientôt réprimée, mais qui allait amuser le juge au même titre que d’autres épisodes où le conservatisme, cette « affaire de vieux », serait ébranlé au profit d’une saine utopie… Il a beau être devenu vieux lui aussi, le juge ne transige pas avec ses principes.
Selon ses principes, donc, il refait – à lui seul et dans sa cuisine, comprend-on assez vite – l’interrogatoire de René Hardy, le bouscule chaque fois qu’une contradiction le lui permet. Il joue une partie d’échecs qu’il a préparée comme jamais, avec la certitude de la gagner. Puisque ses arguments ne sont pas seulement imparables. Ils sont aussi moralement les meilleurs.
Entre les huit interrogatoires rêvés – un rêve qui le pousse parfois du côté de l’hallucination furieuse, à tel point que les voisins et le concierge s’inquiètent des éclats de voix chez ce vieux fou –, il rumine ses pensées et arpente quelques lieux fréquentés par Jean Moulin et d’autres résistants, là où se sont nouées les intrigues desquelles Klaus Barbie sortirait vainqueur. Provisoirement.
Au passage, le juge, ou Dan Franck par son intermédiaire, ne se prive pas de faire quelques commentaires sur la marche du monde tel qu’il est devenu, dominé par l’économique, privé de ses élans de liberté. Ce beau personnage a toujours été du côté des faibles. Il le restera.

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