Si cela a un intérêt, je m'arrête un instant sur les chiffres que GfK a communiqués hier dans son Top 50 des meilleures ventes de livres en 2013. Sébastien Rouault, chef du groupe livres chez GfK, semble admirer le dynamisme du secteur - par "secteur", il faut entendre les cinquante meilleures ventes et rien d'autre. Elles représentent 14,2 millions d'exemplaires en 2013 contre 12 l'année précédente et la hausse du chiffre d'affaires est comparable: 183 millions d'euros contre 162.
Mais que la vie est belle et comme tout va bien! Le livre reste donc un créneau porteur et sa santé est loin d'être chancelante, comme s'en inquiètent quelques alarmistes!
Le livre? Non: le best-seller, espèce transgénique poussée au gigantisme et à l'enflure, où les spécialistes du "marché" ne se préoccupent en rien du goût et ne s'intéressent qu'à la quantité. Si cela vous rappelle d'autres pans du commerce, vous ne vous êtes pas trompé. Pendant ce temps, personne ne nous dira comment se portent de plus humbles artisans appliqués à donner le meilleur d'eux-mêmes.
Car enfin, que nous sert-on, dans cette mirifique liste?
Un énorme Astérix chez les Pictes, vendu à.... (Non, je n'ose même pas le dire, allez voir les chiffres dans le document original.) Une honnête suite des aventures gauloises dont on se demande s'il était nécessaire de s'écraser les pieds dans les boutiques (je n'ose pas trop non plus parler de librairies) pour en acheter, parfois en pièces détachées comme aux pires moments des soldes quand on s'arrache les bonnes affaires, 1.634.490 exemplaires. Bon, je l'ai lâché. J'avais même parlé de l'album, pour ne pas en dire de mal, d'ailleurs, mais je concluais sur ce que représentait vraiment cette publication: une extraordinaire machine à cash. Et cela sans boule de cristal, admirez l'artiste!
On trouve ensuite, mon dieu! mon dieu! les trois inoubliables volumes de Cinquante nuances de Grey et ses suites. Ne reculant devant aucun sacrifice, j'avais lu le premier. Ne comptez pas sur moi pour les autres. Maso un peu mais pas trop. Je ne comprends pas ce qu'on peut trouver d'émoustillant dans la construction ou l'écriture telles que les pratique l'inénarrable E.L. James, que l'on croirait sortie d'une émission de variétés genre Nouvelle Star, ou appelez-la comme vous voulez, dans laquelle on aurait accepté, probablement suite à une erreur de casting, une... euh... une... bon, disons écrivaine. (On ne dit dans l'oreillette que le côté émoustillant n'était pas à chercher dans l'écriture mais dans les scènes érotiques - désolé, je n'ai pas été émoustillé non plus.)
Et puis, et puis... le Dan Brown de l'année, Inferno, que j'avais commencé à lire en anglais, plutôt séduit, et que j'ai terminé en français, beaucoup moins convaincu.
J'ajoute, en 7e, 9e, 13e et 14e place de ce classement qui commence à me sortir par les oreilles, les quatre romans annuels (deux en grand format, deux rééditions en poche) des frères ennemis du best-seller français fabriqué sur mesure au printemps pour être emporté sur les plages l'été, j'ai nommé, vous les avez reconnus, Guillaume Musso et Marc Levy, que j'avais malicieusement (puisqu'il faut bien un peu de légèreté dans ce monde du pavé) associés lors de la sortie presque commune de leur annuelle nouveauté sans rien de neuf en 2012, ce qu'il n'est pas insolite de rappeler maintenant puisque ces deux originaux sans rien d'original sont les poches parus en 2013, ceux qui se retrouvent donc dans la superbe liste de GfK.
Rien à sauver, donc, au royaume du best-seller? Mais si, mais si...
Le prix Goncourt de Pierre Lemaitre, Au revoir là-haut, n'est sans doute pas le roman qui va révolutionner la littérature, mais ce n'était pas le but et c'est une lecture solide (10e dans le classement), quoi qu'en pensent d'autres commentateurs - les mêmes, généralement, qui ont dit le plus grand mal du roman de Joël Dicker, La vérité sur l'affaire Harry Quebert, encore 18e en 2013 alors qu'il est sorti l'année précédente. Je vous renvoie à la note que j'avais publié le jour où il a reçu le Grand Prix du roman de l'Académie française.
La longue durée, c'est un peu la spécialité du format de poche qui redonne vie à des titres de Gilles Legardinier, Michel Bussi, Grégoire Delacourt, Jonas Jonasson, Delphine de Vigan, Victoria Hislop ou Hélène Grémillon. Voire Boris Vian, grâce au film, ou David Foenkinos, grâce au film aussi, hélas!
Je note quand même, car il ne faut pas jeter les 50 best-sellers de 2013 avec l'eau du bain de la prochaine rentrée littéraire, que Michel Serres et Antoine Compagnon se sont introduits (par effraction?) dans cette liste, le premier avec Petite Poucette, le second avec Un été avec Montaigne - ce qui fait beaucoup d'avec en une seule phrase, mais je ne suis pas responsable de tous.
Et je termine sur une note optimiste, avec grâce à la 25e place de Romain Puèrtolas, dont L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea a été une des belles révélations de l'automne dernier, même s'il est sorti en août, le jour où je vous proposais un entretien avec son auteur.
Je n'ai pas cité tous les titres, ceux-ci suffisent, me semble-t-il, à donner un aperçu du paysage rarement réjouissant, à quelques exceptions près, du monde du best-seller.
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