La Grande Catherine a
fait l’objet de nombreuses biographies, signées par exemple Henri Troyat ou
Hélène Carrère d’Encausse. Le personnage est assez curieux pour nourrir aussi
des fictions. En voici une d’Andreï Makine, Une femme aimée, où les aspects historiques – sa vie de 1729 à 1796 – sont
revus à la lumière de notre temps. Ou plus précisément des deux époques
auxquelles Oleg Erdmann, héros imaginaire, travaille à des films sur Catherine
II.
La première fois, il a
tout lu et tenté de transposer avec honnêteté la vie de cette femme, en
contournant le joug de la censure qui régnait en URSS. Le tournage se fait au
début des années 1980 et coïncide avec la mort de Leonid Brejnev. La seconde,
il cède à l’amicale pression de Jourbine, devenu riche dans la Russie des
oligarques, et accepte de diriger un feuilleton dont l’appétit sexuel de
Catherine est le principal ressort.
Oleg est fasciné par
Catherine, comme il le sera par les deux actrices qui jouent son rôle à des
âges différents dans le premier film. Il cherche à lui rendre justice, râle
quand la légende masque la vérité. Il est plus que fasciné, en réalité :
obsédé. Amoureux, peut-être.
Les faits historiques
sont là. Mais ils passent au second plan derrière la fièvre qui anime Oleg. Car
l’Histoire n’est, au fond, qu’« une
farce sanglante aux infinis rebondissements ». Tandis que trouver,
dans les moments les moins connus de son existence, la vérité d’une femme,
voilà une entreprise d’une tout autre envergure. Eva, la deuxième interprète de
Catherine, partage le point de vue d’Oleg et l’exprime plus clairement que lui
en détaillant tout ce qui la frappe chez une femme aux facettes
contradictoires : une féministe, une autocrate, son écurie d’amants…
Catherine le Grand, comme l’appelait le prince de
Ligne, un de ses nombreux grands contemporains (avec Diderot, Voltaire, etc.),
souffrait, imagine volontiers Oleg, de n’avoir pas été aimée. Paradoxe d’une
femme aux amants multiples : ceux-ci, en entrant dans son lit, ou plutôt
dans l’alcôve contiguë à la pièce où elle recevait officiellement, prenaient
aussitôt le goût du pouvoir ou des richesses. D’autant qu’elle distribuait
généreusement l’un comme les autres.
Ils étaient tous pareils.
Sauf un : Lanskoï, mort après quatre ans d’un véritable amour qui, pour la
seule fois de son existence, aurait pu entraîner Catherine à quitter son pays
pour connaître, loin du pouvoir, quelque chose qui aurait ressemblé au bonheur.
Du moins Oleg l’imagine-t-il, conforté dans son hypothèse par les recherches
d’un historien numismate selon lequel Lanskoï aurait, en faisant pour Catherine
l’inventaire de sa collection de monnaies, surtout réuni les pièces venant
d’autres pays que la Russie. Les pièces russes auraient trahis les amants dans
leur fuite.
Catherine réelle, Catherine rêvée, laquelle
choisir ? Makine n’a pas choisi : elles coexistent dans le passé et
dans le présent. Cela donne un formidable personnage.
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