vendredi 27 février 2015

A la Foire du Livre, Grégoire Polet

Grégoire Polet ne se contente pas, avec Barcelona !, de donner son ouvrage le plus épais (quelques pages de plus que Leurs vies éclatantes). Il fait aussi de ce sixième roman son plus impressionnant. Inscrit dans la durée, de 2008 à 2012, le récit convoque une foule de protagonistes dans une construction en kaléidoscope où le lecteur ne se perd jamais. Le roman grouille de personnages avec, en bruit de fond, l’actualité du monde et celle de Barcelone dans ces années-là, marquées par une crise économique majeure et ses conséquences directes sur la vie des habitants ainsi que sur l’aspect de la rue. La politique est représentée par deux hommes et commentée par des journalistes, ce qui nous plonge dans les différents aspects d’une réalité multiple. Pour rassembler tout cela dans une structure à la fois fluide et solide, il fallait la maîtrise dont Grégoire Polet fait preuve ici.
Vous avez bougé entre votre premier roman, Madrid ne dort pas, et celui-ci, même si Barcelone avait déjà fait son apparition plus tôt. Ce déplacement de lieu correspond-il à d’autres changements ?
Il y a surtout des éléments de constance. Comme dans Madrid ne dort pas, c’est de nouveau une tentative, à chaque fois plus large, de voir la réalité dans son ensemble, de la montrer de façon à la fois joyeuse et plurielle, dans une espèce de foisonnement. Je voulais déjà le faire dans mon premier roman, mais à l’échelle d’une nuit, puis une semaine à Paris dans Leurs vies éclatantes, et maintenant quatre ans. Si ça se passe à Barcelone plutôt qu’à Madrid ou à Paris, c’est parce qu’il est plus facile pour moi d’écrire dans la ville où je suis. J’écris en général au temps présent, et c’est très lié à l’expérience directe de ce qu’il y a autour de moi, des gens que je vois, des rues que je fréquente. Cette fois, en quatre ans, je voulais montrer le temps qui passe, les gens qui changent, comment quelqu’un peut être retourné par les événements qui lui sont arrivés entre le début et la fin du roman.
Quand vous avez écrit Chucho, un roman plus bref publié il y a cinq ans et qui était déjà situé à Barcelone, saviez-vous que vous alliez retrouver ce personnage ?
Depuis le début, j’ai le plan que tous les textes s’emboîtent les uns dans les autres avec une cohérence des personnages, d’espace et de temps. J’avais déjà fait revenir certains personnages. Ici, comme le roman se passait de nouveau à Barcelone, c’était l’occasion rêvée de reprendre Chucho et le montrer quatre ans plus tard. Surtout pour un gamin, quatre ans, c’est énorme. Le retour des personnages, c’est rassurant, aussi.
C’est une ambition balzacienne ?
Une ambition, non, mais un exemple. Il y a effectivement chez Balzac quelque chose de prodigieux qui se passe dans l’espace non écrit. Dans l’espace entre les romans, il y a des choses implicites qui se produisent. Le silence entre deux romans est encore du silence de Balzac, comme on le dit de la musique de Mozart. Ce sont des moments où personne ne parle, où pourtant des choses se passent et on les perçoit. C’est très fort chez Balzac et c’est cela que je voulais imiter.
Avant d’écrire un nouveau livre, avez-vous une idée précise de ce qu’il sera ?
En fait, j’improvise beaucoup. Pour ce genre d’aventure, je dois faire un plan minimal, sinon je me perds. Après, je viole constamment le plan mais, au moins, je viole toujours le même plan et c’est une manière de suivre une direction. Je sais grosso modo quelle est la fin des personnages même si certains d’entre eux me surprennent en cours de route. J’ai un cadre global…
Et quelques articulations ?
Oui, notamment le retournement de trois personnages. Begonya est une jeune fille de bonne famille que son insatisfaction conduit à changer complètement d’un point de vue social, voire même politique. Père Català, le navigateur solitaire, commence par un ras-le-bol devant la réalité et part loin de la ville procéder à une sorte de réapprentissage de l’émerveillement. Et la troisième articulation concerne Veronica qui était dans une forme de tristesse un peu inconsciente liée à la perte de sa mère et de son frère, et qui devient une fille très forte tentée par les spiritualités chrétiennes orientales. Ces retournements-là, qui représentent trois façons différentes de changer, étaient mes articulations majeures.

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