lundi 23 février 2015

Didier Daeninckx dans le maquis corse

Fidèle à lui-même, Didier Daeninckx reste, comme il nous le disait il y a quelques années, dans l’écriture noire : « La manière noire de dire le monde a gangrené le monde de l’édition et l’a ressourcé avec ses sujets, avec sa manière de prendre l’Histoire à bras le corps. » Têtes de Maures se situe en terrain favorable : la Corse, à distance de la France continentale par les méthodes qui y sont utilisées pour régler les conflits. Seule, dans l’Hexagone, la ville de Marseille compte un nombre équivalent d’assassinats. Le romancier force un peu le trait : pendant les trois semaines qu’il évoque, en juin 2012, chaque livraison du quotidien Corse-Matin livre un nouveau cadavre…
Melvin Dahmani a reçu, à Paris, un faire-part de décès dont il se demande pourquoi il lui a été adressé. Il ne connaît pas cette Lysia Dalersa qu’on enterre à Corto-Bello dans quelques jours. Comme il a passé un peu de temps en Corse onze ans plus tôt, il cherche qui était cette femme. Et arrive à lui redonner le nom qu’il lui a connue quand ils étaient amoureux, Elise : « C’est elle que j’avais perdue, au bord de la Méditerranée, et que je retrouvais sous le nom de Lysia Dalersa alors que tout était déjà joué. »
Le temps de voter, puisque c’est dimanche d’élection, Melvin prend l’avion. Il est intrigué par l’arrivée du faire-part, il est en outre dans le collimateur de la police parisienne pour des trajets fréquents à Londres où il se livre à des activités peu légales. Ce concours de circonstances suffit à le décider. Il ne sait pas ce qu’il cherche, ni même s’il y a quelque chose à chercher. Il part en pèlerinage sur les traces d’un passé heureux, il a envie de rendre hommage à une femme dont il fut le premier amant et qu’il n’a jamais oubliée, pour le reste, on verra.
On ne tarde pas à voir, en effet, en particulier quand un coup de feu claque pendant l’enterrement, blessant légèrement Melvin et tuant un homme à côté de lui. Melvin ne sait pas qui était visé mais il lui deviendra de plus en plus difficile de faire croire qu’il se trouvait là par hasard. Sa curiosité pour le passé d’Elise-Lysia, qui le fait remonter dans le temps après qu’il a trouvé un cahier que la jeune femme avait caché dans un endroit où lui seul pouvait le trouver, éveille les soupçons. Il est entré, sans bien s’en rendre compte, dans un jeu de vengeances où plusieurs grandes familles de l’île sont impliquées et, d’avertissements en menaces, il doit prendre au sérieux un danger qui se rapproche.
Un prologue avait attiré l’attention sur l’importance d’événements survenus en 1931, quand un corps expéditionnaire avait débarqué en Corse pour remettre un peu d’ordre, par la force, sur un territoire où la loi commune semblait s’appliquer de moins en moins. Et Melvin passera des heures à lire de vieux journaux dans lesquels il espère trouver un sens à la succession des faits. Didier Daeninckx superpose les époques, et c’est ainsi qu’il explique les échos qui courent à travers tout le roman, d’une génération à une autre, quand le sang appelle le sang. La démonstration est implacable, on la suit d’un regard horrifié sans arriver à s’en détacher un seul instant.

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