En 1960, Françoise Giroud
décide de choisir sa mort. C’est, écrit Alix de Saint-André, dont Garde tes larmes pour plus tard est
réédité en même temps, « le plus
grand échec de son existence ». Dans les mois qui suivent, elle écrit Histoire d’une femme libre, consciente
des limites qui lui ont été imposées : « Choisir
sa mort, l’heure et la forme de sa mort, c’est cependant l’expression la plus
pure de la liberté. Elle m’a été interdite. » Elle semble en éprouver
un certain regret. Provisoirement, du moins, car il lui reste bien des choses à
accomplir. Articles, livres, secrétariats d’Etat. Elle embrassera la suite avec
une volonté inchangée et la certitude, héritée de sa mère aux moments les plus
précaires de leur existence, que demain sera meilleur.
Au moment où nous la
découvrons à travers ce livre dont tout le monde croyait le manuscrit perdu –
alors qu’il était soigneusement rangé dans les archives de l’IMEC – elle se met
à nu, probablement d’abord pour elle-même. Elle est blessée par la rupture
amoureuse et professionnelle avec Jean-Jacques Servan-Schreiber. Elle connaît
sa fragilité venue de l’enfance : conditionnée pour être coupable,
éprouvant les pires difficultés pour trouver sa place. C’est tout ce qui la
sépare de Jean-Jacques Servan-Schreiber, avec qui elle a fondé L’Express en 1953 en même temps qu’ils
partageaient des moments heureux en privé : « Moi, je ne m’aimais pas, et lui s’aimait. » Pour ce qui
la concerne, elle pense souvent : « Il
n’y a pas de place pour moi. Ni ici, ni là. Nulle part. Je ne la trouverai
jamais, la place où je pourrais poser ma tête… »
Françoise Giroud
écrit-elle Histoire d'une femme libre surtout pour elle-même ? Elle renoncera en tout cas à
le publier. Peut-être s’agissait-il d’abord, en ce moment de repos forcé – en
convalescence et écartée de L’Express –
de dénouer à son propre usage quelques-uns des nœuds qui, dans sa vie,
l’empêchaient d’être tout à fait ce qu’elle aurait voulu. Elle dessine donc,
depuis l’enfance, le territoire qui est le sien, avec ses atouts autant qu’avec
les manques déjà évoqués. Parmi ses atouts, une énorme capacité de travail, le
sens de l’injustice, le désir d’apprendre à fond comme elle le fait d’abord
avec la sténodactylo, puis dans ses emplois successifs, dans une librairie à
quatorze ans, quand elle devient script un peu plus tard, auprès des
spécialistes de la politique ou de l’économie à L’Express…
Elle n’aimait pas tout le
monde. Elle haïssait même la grand-mère aux besoins de laquelle elle a pourtant
subvenu jusqu’à sa mort. Elle possédait cependant une qualité dont elle aurait
aimé dire qu’elle est la principale caractéristique de sa vie. « Si l’on me demandait aujourd’hui :
« Qu’avez-vous fait de votre vie ? », je répondrais : « J’ai
compris les autres. » Ou, du moins, j’ai essayé… » Jusque dans
l’injustice subie, dès douze ans, quand elle est punie au lieu d’une autre dont
le père est très influent. Elle n’accepte pas, mais elle comprend la directrice
de l’école. Elle en tire une explication partielle de ce qu’elle est devenue :
« Il m’en reste que, depuis, je
combats l’injustice partout où je crois la rencontrer quand les autres ont à en
souffrir, mais dès qu’elle me frappe, moi, je courbe la tête… »
L’autoportrait est
nuancé. Ses combats, dit-elle, ne vont pas jusqu’à l’engager politiquement,
bien qu’elle passe pour communiste, et elle en donne les raisons. Ni jusqu’à
devenir une autre : « Qui a dit :
« Je veux bien mourir pour le peuple, mais je ne veux pas vivre avec » ?
Quelqu’un dans mon genre. »
Celle qui a voulu réussir une carrière d’homme
en même temps qu’une vie de femme n’est, à ce moment de son existence, pas
certaine d’avoir réussi. Et moins certaine encore de vouloir continuer. Il y
avait, dans ses sept premières années à L’Express,
un « élan heureux » fourni
bien sûr par la nouveauté du magazine mais surtout par sa relation avec
Jean-Jacques Servan-Schreiber. Qui la rappellera en 1961, et pour longtemps.
Dans Histoire d'une femme libre, Françoise
Giroud est une femme blessée mais pas abattue.
Grande dame.
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