Avec Michel Butor, mort à près de 90 ans, c’est tout le
Nouveau Roman, ce courant littéraire qui n’en était pas un, qui finit de
disparaître. Michel Butor se trouvait sur la célèbre photo qui regroupait, en
1959, devant les Editions de Minuit où ils publiaient presque tous, Alain
Robbe-Grillet, Claude Simon, Claude Mauriac, Robert Pinget, Nathalie Sarraute
et Claude Ollier. L’image avait imposé le concept, malgré les différences.
Si Claude Simon a été couronné par un Prix Nobel, Michel
Butor a été, et de loin, le plus prolifique de cette bande. Et sans doute un
des moins théoriciens. Ainsi qu’un romancier d’occasion, par comparaison avec
le reste de sa production. Bien sûr, il y eut La modification, Prix Renaudot 1957, et avant cela Passage de Milan et L’emploi du temps, puis Degrés,
en 1960, pour clore un court cycle romanesque. Impressionnant, certes. La modification commence ainsi : « Vous avez mis le pied gauche sur la
rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un
peu plus le panneau coulissant. » Tout le livre s’adresse à ce
« vous », Léon Belmont, dans le train qui, entre Paris et Rome,
l’éloigne de son épouse et le rapproche de sa maîtresse. La forme, destinée à
faire pénétrer le lecteur dans l’esprit du personnage, donnait à ce livre un
cachet singulier, qu’il n’a pas perdu.
Mais le roman était un espace trop étroit (et
pourtant !) pour Michel Butor, qui s’est aventuré sur tous les terrains où
sa liberté pouvait s’exercer. La poésie, bien sûr, à travers quantité de
recueils, dont certains sont aussi des livres d’artistes. Car Butor écrivait
dans la proximité des peintres, et écrivait aussi sur eux. Pierre Alechinsky ou
Christian Dotremont, par exemple. La musique ne lui était pas indifférente, il
l’a montré notamment dans Dialogue avec
33 variations de Ludwig van Beethoven sur une valse de Diabelli ou en
créant un opéra avec Henri Pousseur, Votre
Faust. La radio l’attirait pour le travail sur les sons, comme dans 6 810 000 litres d’eau par
seconde. Il a noté ses rêves dans cinq ouvrages publiés de 1975 à 1985,
fascinants en particulier parce qu’il se gardait bien d’y apporter la moindre
interprétation.
Mais c’est encore dans les textes des autres que Michel
Butor se sentait le mieux. Le professeur de langue française et de littérature
qu’il fut en Egypte, à Genève, aux Etats-Unis ou à Nice n’apportait pas
seulement une connaissance encyclopédique des lettres classiques. Il les
faisait vivre, et des livres prolongeaient souvent sa réflexion sur ses
écrivains préférés : Baudelaire, Flaubert, Rimbaud, l’inépuisable Balzac…
On voit au passage que le Nouveau Roman est très loin de ces esthétiques.
Plusieurs de ces ouvrages sont intitulés Improvisations
sur…, autre manière de montrer que la théorie, au fond, lui importait peu.
On n’épuisera pas aisément l’œuvre de Michel Butor, qui en
outre avait beaucoup voyagé ainsi que le prouve en 1958 Le génie du lieu, consacré à quelques villes qui lui étaient
chères, ainsi qu’à un pays, l’Egypte. Terminons, pour relier ce livre à La modification, par la première phrase
du texte qu’il consacre à Istanbul : « Je
me suis réveillé dans le train qui roulait toujours. » Et profitons-en
pour dire que son père, quand le futur écrivain est né en 1926 à
Mons-en-Barœul, travaillait aux Chemins de fer du Nord.
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