Régis Jauffret l’écrivait en introduction : il a
rejoint au printemps 2015 les « terres crépusculaires » de ceux qui
ont passé le cap de la soixantaine. D’où ce Bravo
lancé seize fois, non sans ironie, à de presque vieillard(e)s dont l’âge est
souvent plus avancé. Mais pas tous : le narrateur d’« Une bonne
espérance de vie » a seulement 55 ans et en a marre de se faire traiter de
vieux. Même si sa femme, 28 ans, prétend le faire par affection.
Voilà le tableau et il faut bien du talent à Régis Jauffret
pour en tirer quelque chose de réjouissant. Car Bravo est un livre bourré d’énergie. Parfois celle du désespoir,
mais il suffit au lecteur de ne pas être à l’article de la mort pour se sentir
très en forme en comparaison avec ce cortège de vieilles peaux.
Dans « Gisèle prend l’eau », un couple de
vacanciers pourrait se contenter de prendre le soleil des Seychelles. Mais le
mari devait, au point de départ, jouer un autre rôle et trouver le conjoint
idéal pour Gisèle, avant de résigner à être celui-là, sans idéal. Piètre
consolation : « Gisèle
demeurerait belle et fraîche jusqu’à la fin de mes jours. » Fin
annoncée dans un an ou deux, le temps, pourquoi pas, de s’offrir un grand
frisson dont Gisèle ne sortira pas intacte.
Les blessures ne sont pas toujours, en effet, celles des
années accumulées, même si elles contribuent à l’affaiblissement progressif et
multiplient les risques de maladies opportunistes, prêtes à fondre sur un corps
fatigué pour mieux l’achever. Comme dans « Le pollen du bonheur » où,
à 63 ans, une femme n’a trouvé qu’un sens à sa vie. Et encore : sans être
vraiment convaincue de sa pertinence. Elle se reproduisait. Dix garçons.
Aujourd’hui, elle se sent mieux, elle a retrouvé sa dignité : un cancer.
Pas de quoi prendre un air affligé. Le pire peut devenir le
meilleur, il suffit de l’envisager sous le bon angle – comme on photographie un
visage asymétrique sous un profil plutôt que l’autre. Les situations les plus
explosives fournissent les meilleures occasions de rire : « Une
déferlante de haine » raconte une grandiose réception de Noël organisée
par de vieux parents pour leur descendance au nombre imprécis. On dira, par euphémisme,
que ça tourne mal. A moins que ça tourne très bien, c’est selon.
Car, de retournement en retournement, et même si les os
craquent, l’esprit acquiert une souplesse grâce à laquelle il s’adapte à toutes
les situations, dans une logique aussi confuse qu’inébranlable. D’où la
tentation de voir Bravo comme un
« roman mosaïque » plutôt qu’un recueil de nouvelles.
Les faits divers, ça
suffit ? Les trois romans consacrés aux affaires Stern, Fritzl et DSK ont
beaucoup fait parler d’eux…
Pour moi c’était écrire
sur le réel, avec le réel, en essayant de sonder le réel en me rendant sur les
lieux. Mais ces livres sont en même temps des fictions à part entière puisque j’investis
le psychisme des protagonistes, ce qui est le privilège du romancier. DSK
maintient sa plainte contre moi, ce qui devient grotesque après le déballage du
procès de Lille. Il doit vraiment haïr la culture de l’écrit, car contrairement
à ce qu’il a annoncé, il n’a pas osé porter plainte contre le film de Ferrara, Welcome
to New York, dont il avait dit bien pire
que de mon livre.
La forme courte, et
même plus courte que les nouvelles de Bravo,
vous est familière. Y revenir, est-ce renouer avec un plaisir d’une nature
particulière ?
Pas vraiment. Pour moi
l’écriture est une. La fiction est toujours la fiction et jusqu’alors je n’ai
jamais écrit que de la fiction… Seuls trois de mes livres partent d’événements
réels, et j’en ai écrit quand même quelques-uns…
Vos vieux ne sont,
dans l’ensemble, pas très sympathiques. Quelques-uns d’entre eux sont même
franchement détestables. Ecrivez-vous contre vos personnages ?
Non. Mais les
personnages sont des personnages à partir du moment où ils sont forts. Et puis
les vieux ne sont ni plus gentils ni plus méchants que les jeunes. Je ne sais
trop pourquoi beaucoup de gens pensent le contraire… Un type comme Staline par
exemple, a été une ordure toute sa vie, Franco aussi…
Il en est
quelques-uns dont les comportements semblent tout à fait invraisemblables. Vous
ne vous étiez fixé aucune limite ?
Aucune. Mais l’invraisemblable
le plus souvent existe…
Est-ce l’approche de
la soixantaine qui vous fait regarder de plus près comment peuvent être les
hommes et les femmes qui, devenus vieux, sont malgré tout « plus vivants que les morts » ?
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