Les habitués de ce blog savent peut-être, s'ils suivent les épisodes annuels de mes démêlés avec l'oeuvre d'Amélie Nothomb, un véritable feuilleton, combien j'éprouve souvent des réticences devant des livres qui me semblent trop peu consistants pour être autre chose que des apéritifs à la rentrée littéraire. D'où, peut-être, leur présence au moment où celle-ci s'ouvre, avant de passer aux choses sérieuses.
Mais ne croyez pas que je me réjouis de tomber à bras raccourcis, chaque mois d'août que fait le calendrier, sur le nouveau roman de la dame au(x) chapeau(x). Au contraire, c'est toujours avec l'espoir de trouver enfin un livre réussi que j'ouvre le titre suivant. La déception, puisque souvent déception il y a, en est plus rude. Mais imaginez que, pour une fois, un roman d'Amélie Nothomb passe la barre à laquelle j'aimerais qu'elle se confronte. C'est le bonheur.
Excellente nouvelle, cette année, le bonheur est au rendez-vous avec Riquet à la houppe - il y a quatre ans, c'était Barbe bleue, et le conte revisité ne m'avait pas séduit. Il en va tout autrement cette fois.
Riquet, qui s'appelle en réalité Déodat, fils d'Enide et d'Honorat, possède une caractéristique qui n'échappe même pas au premier regard de ses parents: il est laid. Pire que laid: "fripé de partout, les yeux à peine ouverts, la bouche rentrée - il était repoussant."
Le pauvre petit comprend très vite ce qui lui est tombé dessus. Mais, philosophe précoce, décide d'accepter son apparence. Je suis laid, oui, et alors?
En face, ou au moins sur l'autre rive de la Seine, Lierre et Rose, nouveaux père et mère, nomment Trémière la fille qui vient de naître. Elle est ravissante...
A son vingt-cinquième roman, Amélie Nothomb n'en est plus, heureusement, à se contenter de poser là deux figures opposées et à leur donner une chance de se rapprocher, pour le meilleur ou pour le pire - on peut tout imaginer, et d'ailleurs la fiction est faite pour cela. Elle décrit une autre sorte d'évidence, du genre qui apparaît seulement après réflexion: un enfant trop laid et une enfant trop belle possèdent en commun leur rejet par les autres. Ils ne semblent pas faits pour se couler dans le moule de la normalité et en souffriraient s'ils n'étaient les premiers à comprendre qu'il en est bien ainsi.
Dans son exploration du conte, et l'exploration est voyage c'est-à-dire, ici, écriture ou réécriture, Amélie Nothomb pousse un peu plus loin que de coutume les paradoxes habituels aux mécanismes de ses romans. Riquet à la houppe est d'ailleurs, et je crois que ce n'est pas anodin, un livre plus long que ses précédents. Plus dense, aussi. Sans rompre pour autant avec ses thèmes de prédilection dont une certaine monstruosité est souvent la colonne vertébrale.
Décevants ou rassurants par rapport au talent qu'on lui prête (et qu'elle possède), les romans d'Amélie Nothomb font, à force, et à force de succès, ce qu'on appelle une oeuvre. Suffisante, a-t-il semblé, pour accueillir l'an dernier sa conceptrice à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. En la recevant, Jacques De Decker l'entraînait dans un tour du propriétaire où elle était chez elle, puisque sa lignée y était déjà représentée, en portrait ou en buste. Bustes et portraits, voilà qui correspond bien à sa bibliographie. Celle-ci, pour une grande partie, est une galerie de tableaux comme on en trouve dans les vieilles maisons de grandes familles, où il se trouve toujours quelques ancêtres à l'air si dégénéré qu'on se demande comment le sang a résisté à travers les générations. Riquet à la houppe, mieux que le Discours de réception d'Amélie Nothomb, fournit peut-être la réponse à cette interrogation: par l'amour.
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