On a appris hier la mort, à 86 ans, de Françoise Mallet-Joris. Le première fois que je l'ai rencontrée, il y a une quarantaine d'années, elle vivait à Paris. La dernière fois, elle était installée à Bruxelles. Entre les deux (et avant, et après), elle a eu une vie pleine et une carrière littéraire éblouissante. Bref rappel, avec un portrait publié en 1997, à l'occasion de la sortie d'un roman, La maison dont le chien est fou.
Françoise Mallet-Joris
avait de qui tenir : Suzanne Lilar, sa mère, a été un des grands écrivains
belges. C’est donc tout naturellement que, très jeune, elle a commencé à jeter
des mots sur le papier. Et pas pour tenir un journal, comme on aurait pu l’attendre
d’une pré-adolescente : « A
onze, douze ans, pendant la guerre, j’écrivais beaucoup de poèmes, des petits
romans d’actualité – sur les difficultés du ravitaillement, par exemple – ou d’imagination,
sous l’influence de Jules Verne. Il y avait des scaphandriers dans mes romans ! »
Elle n’avait pas seize
ans quand elle a publié son premier livre, Poèmes
du dimanche, appuyée par un des écrivains qui fréquentaient la maison
familiale. « Je ne sais plus si c’était
Crommelynck, Bernanos, qui était un assez bon ami de mon père, ou quelqu’un d’autre… »
Mais la vie ne pouvait se
limiter à quelques poèmes publiés. A la fin de ses études secondaires, Françoise
Mallet-Joris part à Philadelphie pour un an, envoyée là-bas par ses parents. Ceux-ci
n’imaginaient pas tout ce qui allait arriver en peu de temps. A Philadelphie, la
jeune fille tombe amoureuse et se marie… pour quelques jours. (Elle le fera
deux fois encore par la suite, pour des durées croissantes.) Le goût de l’écriture
ne l’a pas quitté entre-temps : loin d’Anvers, elle ébauche ce qui
deviendra son premier roman publié, Le
rempart des béguines. Un livre qui n’aurait peut-être pas pu naître sur
place, dans une ville dont cette description aurait pu être mal reçue.
De retour en Europe, à
Paris, Mallet-Joris termine son roman et le donne à lire chez quelques éditeurs.
Elle ne connaissait rien des habitudes en la matière. « J’étais tellement enfant », dit-elle même, « que je croyais que Sartre était un
patron de boîte de nuit. » Comme cela arrivera quatre ans plus tard à
Françoise Sagan, Julliard est le premier éditeur à répondre – positivement. Comme
cette maison était proche de Gallimard où le manuscrit se trouvait aussi, le
jeune auteur ne trouve rien de mieux à faire que d’aller y annoncer la nouvelle.
« Je ne me rendais pas compte :
j’avais seulement l’intention de les prévenir, mais ma démarche leur a fait
croire que je me moquais d’eux. » Cela n’empêchera pas, beaucoup plus
tard, la célèbre collection Blanche d’accueillir deux autres romans de
Mallet-Joris (Le clin d’œil de l’ange
et Le rire de Laura).
Françoise Mallet-Joris
allait de surprise en surprise : « L’idée
qu’on me paie pour écrire, qu’on me donne une avance pour le roman, était pour
moi tout à fait nouvelle. » En outre, « Le rempart des béguines »
fut bien reçu, s’est plutôt bien vendu et amorçait une prestigieuse carrière, ouverte
– pense-t-elle – à une époque plus favorable que la nôtre. « C’est beaucoup plus difficile aujourd’hui pour un auteur
débutant. Quand j’ai publié mon premier roman, les gens étaient avides de
lecture, de découvrir de jeunes auteurs. La télévision n’occupait pas la place
qu’elle occupe maintenant… »
Toujours attentifs, ses
parents la mirent en garde contre ce succès précoce. Françoise Mallet-Joris
elle-même se demandait si elle allait continuer à vendre ses livres, se mit à
lire des manuscrits pour Julliard et reprit même des cours de littérature
comparée à la Sorbonne. Très vite, cependant, l’attrait exercé par ses romans
sur un large public allait se confirmer, ce qui lui permit de se consacrer
entièrement à l’écriture. Mais toujours avec la crainte de l’échec. « Ce doit être mon vingt-cinquième ou
vingt-sixième livre, et chaque fois j’en suis malade. » Heureusement, les
choses arrivent plutôt dans l’autre sens : quand elle a apporté, chez
Grasset, le manuscrit de La maison de
papier, on lui a fait comprendre que cela n’intéresserait personne. Résultat :
cinq cent mille exemplaires vendus en édition originale !
Auparavant, elle avait
reçu le prix des Libraires en 1957 pour Les
mensonges, le prix Femina en 1958 pour L’Empire
céleste, le prix de Monaco en 1965 pour Marie
Mancini… Membre du jury du prix Femina de 1969 à 1971, elle ne quitta
celui-ci que pour entrer à l’académie Goncourt. Elle a aussi été élue à l’Académie
royale belge de langue et de littérature françaises, au siège de sa mère. Cette
succession n’était possible que si Françoise Mallet-Joris retrouvait la
nationalité belge (sans quoi elle aurait été élue à un autre siège, au titre de
membre étranger puisqu’elle était Française). Elle accomplit donc les démarches
nécessaires – et elle retrouve même de plus en plus souvent Bruxelles, avec un
plaisir qu’elle ne dissimule pas.
Ces prix, ces titres
pourraient laisser croire à une présence assidue dans les milieux littéraires. En
fait, il n’en est rien : « Entre
dix-huit et trente ans, j’ai eu quatre enfants vivants et plusieurs accidents. J’étais
tout le temps enceinte ! J’ai aussi écrit quatre ou cinq livres comme
nègre. J’avais une vie pleine, animée, mais très peu dans le milieu littéraire.
En outre, je n’ai jamais aimé sortir le soir. Je n’étais pas, comme maintenant,
avide de solitude, mais je vivais dans un cercle restreint. »
Grâce à cette vie, sans
doute, Françoise Mallet-Joris n’a jamais cessé d’écrire. Grâce aussi à son
imagination : « Je n’ai jamais
manqué d’idées, de sujets. » Quant au succès qui l’accompagne, il s’explique
plus difficilement – c’est toujours en partie un mystère –, mais quelques-unes
des idées de l’écrivain sur la littérature contribuent à le comprendre : « Je me dis souvent qu’il y a tant de
livres ennuyeux ! J’ai lu des milliers de romans policiers, mais je ne
pourrais pas en écrire un. Alors, cette fois-ci, je me suis lancée dans une
enquête à l’envers, pour prouver l’innocence de quelqu’un plutôt que sa
culpabilité. C’est beaucoup plus difficile ! »
Pour La maison dont le chien est fou, Françoise Mallet-Joris a adopté
une technique à laquelle elle est fidèle depuis longtemps : elle l’a écrit
trois ou quatre fois, réfléchissant longuement à la construction, montant et
démontant les chapitres pour leur donner le meilleur ordonnancement possible. « S’il y avait un autre art que j’aimerais
pratiquer, ce serait l’architecture. Quand on déplace un volume, tout prend d’autres
proportions. C’est la même chose dans la structure d’un roman. »
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