Thierry Beinstingel porte son écriture sur des terrains qui
sont plus souvent ceux des journalistes ou des sociologues : la vie des
gens, pour le dire vite. Il n’est certes pas le seul dans une littérature
française que l’on condamne souvent en bloc, parce qu’on ne l’a pas lue, pour
sa déconnection avec le réel. Parmi ceux qui mettent les mains dans le
cambouis, il est en première ligne des romanciers. N’oubliant jamais qu’il
approche un sujet en écrivain, non en journaliste ou sociologue tenté de
bricoler quelque chose qui ressemblerait vaguement à une fiction.
Dans Faux nègres,
nous sommes « ici », et peu importe où pourvu que ces trois lettres
fassent comme une île et que le maire montre les lieux de son village sur une
carte, dessinant une géographie précise – ici, là – à l’intérieur de laquelle
se pose une question, une seule, puisque le rédacteur en chef a dit à Pierre
d’insister tant qu’il n’a pas obtenu de réponse : « Pourquoi les gens d’ici votent-ils à l’extrême
droite ? » Ici, à Chuffilly, moins de cent habitants, où
l’extrême droite est arrivée en tête au premier tour de la dernière élection
présidentielle…
Pierre ne se sent pas journaliste, il est accompagné de
Frédéric, un preneur de son aveugle, « l’un
pose des questions sans réponse, l’autre enregistre des silences : fine
équipe. » Pendant qu’ils attendent qu’on leur explique, que vienne
enfin une réponse, ou même après tout un semblant de réponse, un drame se noue
dans le village, auquel leur présence est étrangère. A moins que la présence
d’un observateur modifie, comme dans une expérience scientifique, le déroulement
des faits.
L’ombre de Rimbaud plane sur le roman, ce qui n’étonne pas a
posteriori puisque Thierry Beinstingel vient de publier un nouveau roman, Vie prolongée d’Arthur Rimbaud. Le poète
« sert de mètre étalon : une
semelle de vent vaut deux poches crevées. » Sa vie apparaît en
filigrane, d’autres personnages réels ou imaginaires s’accrochent comme des
ombres dont on ne parvient pas à se débarrasser. Faux nègres devient un palimpseste où aujourd’hui s’écrit sur un
passé dont on lit encore les traces, à travers des digressions dont chacune
donne du sens. Comment Pierre ne se perdrait-il pas dans l’élaboration d’un
article à la matière fuyante ?
Quant au roman de Thierry Beinstingel, il suscite les effets
secondaires d’une question souvent répétée. Le terrain est arpenté avec le
mélange de maîtrise et de doute qui en donne tout le relief.
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