L’armée de Sarrail à 150 kilomètres en avant
(De notre envoyé spécial.)
Salonique,
22 septembre.
Salonique n’est plus à Salonique. Autrefois, pour désigner
l’armée d’Orient, on coupait court en disant : « Salonique ».
C’est que c’était vrai. Dans les rues nauséabondes de la ville des fièvres, des
uniformes grouillaient. L’armée était bien à sa place, mais elle semblait avoir
une délégation permanente dans la ville. C’était parce qu’on ne se battait pas
encore et qu’on ne pouvait pas encore se battre.
Aujourd’hui, transfiguration. Salonique est vidée. C’est à
ne plus la reconnaître. Elle vous fait froid au cœur. Vous croyez tout à coup
que vous êtes tout seul dans un mauvais pays. Où, jadis, la foule se pressait,
vous n’apercevez plus que quelques gens. Ils suffisent cependant à vous faire
faire un grand tour dans le monde. Là c’est un Russe ; plus loin des
Italiens et plus loin des Serbes et des Français, Anglais et des Grecs au
brassard bleu et blanc, des Révolutionnaires, et des Sénégalais et des
Malgaches. Car, ouvrez toujours votre imagination sur l’armée d’Orient et
sachez que des hommes sont venus de Tananarive, de Dakar, de Vladivostok, de
Paris et de Belgrade pour prendre Florina, de Rome pour attaquer les monts
Belès, de Londres pour franchir la Strouma sans compter ceux venus de Cavalla
pour se révolter.
Ils sont déjà habitués les uns aux autres ; ils ne
s’intéressent plus mutuellement ; ils se croisent sans se regarder ;
les émotions ne sont pas éternelles.
Ils ont l’air de passer dans la ville en échantillons de ce
qui compose l’armée. Ils sont comme en vitrine ; ils ne meublent pas.
Salonique est au feu.
Ne demandez plus vos amis ; n’allez plus frapper aux
portes ; ne comptez plus dîner à telle popote. Salonique est au feu.
Désigner maintenant l’armée d’Orient par le nom de
Salonique, c’est, par comparaison, comme si l’armée de Verdun portait celui de
Paris.
Salonique est, en réalité, à plus de 150 kilomètres de
Salonique.
Elle est là-bas l’interrogation, là où, pour avoir Florina,
il a fallu, en un endroit, masser plus de cent canons, là où on attelle tantôt
vingt chevaux, tantôt vingt bœufs pour hisser une pièce sur les crêtes
sauvages.
Les Alliés menacent
Monastir
Elle est sur la Strouma et au pied du Bélès. Elle est
surtout autour de Monastir.
Car, ce n’est pas un secret d’armée que c’est sur Monastir
que l’on fonce et les espoirs sont grands parce que les courages le sont.
Les Serbes, des crêtes du Kaïmakalan, marchent de flanc.
D’un côté nous n’en sommes à plus de 15 kilomètres, de l’autre pas à 25.
L’affaire sera plus rouge que rose. Les Bulgares nous attendent ; ils nous
ont réservé leur réception à Kenale ; ils seront polis ; ils seront
en nombre. Une des révélations de ce dernier mois, c’est leur quantité. Nous
les avons tâtés partout et partout nous les avons trouvés serrés. Les plus
optimistes disaient que leur armée était de 400 000 hommes. Après ces
sondages, mettons 500 000. C’est le chiffre que donnent les Anglais et les
Anglais sont gens raisonnables.
Ils ont aussi des canons, mais le nombre de ces canons ne
paraît guère embarrasser ceux qui les attaquent. Les Serbes, eux, ne veulent
rien regarder de tout ça ; ce qu’ils regardent depuis hier, du sommet du
Kaïmakalan, c’est Monastir. On a voulu leur reprendre la montagne, on n’a pas
insisté. Ils se sentent comme en 1914, à Roudnik, alors qu’ils brossèrent les
Autrichiens. Ils disent qu’ils sont redevenus enragés.
Voilà où est, à cette heure, Salonique et ce qu’elle fait.
Quant à l’autre, quant à la ville, elle n’est plus qu’un quai pour
débarquement, qu’un port pour bateaux, hôpitaux, et qu’une provenance pour
dépêches de journaux.
Le Petit Journal, 23 septembre 1916.
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